temporalité du rp : décembre 1954
personnages concernés : Vivian McIntyre & Mycroft Fitzpatrick
trigger warnings : aucun à ce stade
intervention autorisée du mj : [ ] oui [X] non
autre(s) : /

IN FOR THE KILL - 2021-2022

Dehors, la neige s’accumule contre les vitres. Dans les ruelles étroites de Godric’s Hollow, elle se tasse dans les recoins, ne parvient pas à établir son règne face au vent côtier de Cornouailles mais lutte sans relâche pour s’affirmer. Elle se colle au verre, s’accroche aux montants de bois, se glisse sous les portes mal calfeutrées.

Mais Mycroft ne voit rien de tout cela. Il a toujours détesté l’hiver, lui l’enfant de la capitale. Pour lui, la saison froide est avant tout synonyme de boue grisâtre, de chaussures ruinées, de chaussettes humides, d’une mauvaise humeur généralisée. Et les fêtes, par Shakespeare, ces maudites fêtes de famille où il ne faisait jamais bonne figure, jamais assez. Ses sœurs sont brillamment mariées, ses frères ont réussi dans la vie. Bon sang de bonsoir, ce qu’il peut abhorrer ces expressions. Et les regards insidieux de sa mère, Et toi, Mycroft, quand me feras-tu un énième petit-enfant ? Quand me ramèneras-tu toi aussi une belle-fille que je n’apprécierai pas, mais qui au moins aura le mérite de prendre soin de toi ?

Il n’a pas besoin qu’on prenne soin de lui. Et il n’ira pas à Londres cette année, le reste de la dynastie Fitzpatrick peut bien se brosser. Ils n’ont qu’à se trouver un autre vilain petit canard. Oui, Mycroft boude un peu, mais il estime qu’il a bien le droit. Et puis, il n’y a personne pour le voir : il est seul dans la salle de classe qu’on lui a attribuée au sein du lycée local.

En bon professeur - s’il est un fils déplorable, comme on n’a eu de cesse de lui répéter, il est par ailleurs un enseignant surqualifié, que cette école perdue aux confins des terres britanniques a bien de la chance de compter parmi ses rangs - en bon professeur donc, Mycroft ne craint pas de faire quelques heures supplémentaires. Correction de copies, rangement de son local de cours, préparation de leçons… Il s’abandonne avec un plaisir insoupçonné à ces moments que d’autres collègues redoutent. Rien de tel, estime-t-il, que ces instants volés dans les bâtiments vides, cette impression que l’établissement tout entier lui appartient, qu’il n’est plus dans un lycée, mais bien de retour à l’université. Ses rêveries diurnes l’entraînent dans un univers parallèle, un univers dans lequel il a accompli tout ce dont il rêvait à vingt ans, un univers dans lequel Cormac est toujours vivant et l’attend à la maison, un univers dans lequel ce n’est pas un rêve interdit mais une réalité incontestée : deux hommes peuvent s’aimer et partager leur vie d’universitaires sans que personne y trouve à redire.

Mais les rêves finissent toujours par s’arrêter, la réalité par reprendre ses droits impitoyables, tel ce vent du sud qui parvient à déloger les flocons obstinés. Il est temps de rentrer, décide le titulaire, s’emparant de son écharpe et de son chapeau de feutre, une coquetterie inutile sans doute, mais qui lui rappelle des jours meilleurs. Le soleil sur les rives du canal, les conversations printanières, la barque qui progresse au fil des coups de rame… Rien de tel ne l’attend à l’extérieur, où le vent a terminé ses échauffements et donne à présent la pleine mesure de sa force.

Alors que Mycroft rejoint l’une des rues commerçantes du village, la dernière avant de s’engager dans le quartier résidentiel où l’attend son cottage désert, une bourrasque s’empare de son couvre-chef. Et voilà que le digne professeur se transforme en étudiant frivole, poursuivant son chapeau sans cesse projeté plus loin par une brise joueuse. La course-poursuite s’arrête soudainement lorsque le brun manque de percuter une jeune femme qui ferme son échoppe pour la journée.

Toutes mes excuses, madame ! J’espère que je ne vous ai pas fait de…

Il s’arrête net, les yeux soudain fixés sur la vitrine. Par tous les saints du calendrier, qu’est-ce que c’est que… ça ? Il n’a jamais vu des silhouettes aussi peu vêtues, et pour cause : il se trouve devant la boutique de lingerie féminine du village. Il en avait entendu parler - rien de mieux qu’une salle des professeurs pour être au courant du moindre ragot, de la moindre information inutile, surtout dans un village comme Godric’s Hollow - mais rien ne l’avait pour autant préparé à ce travail arachnéen qui ne lui inspire rien qui vaille.
Il est hors de question toutefois d’oublier les manières qu’on lui a apprises, et le professeur se reprend bientôt, tâchant d’ignorer le reflet que la vitrine lui renvoie, et dans lequel ses joues ont pris la teinte des tomates mûres.

...mal ? Auriez-vous l’amabilité de me rendre mon chapeau ? finit-il par demander, désignant le bout de feutre malmené et désormais sévèrement entaché.

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Rien n’était plus agréable que de demeurer à l’intérieur par un temps pareil. Au dehors, la neige n’avait de cesse de tomber, de recouvrir les toits et les rues de son manteau immaculé. Assurément, c’était un temps digne des fêtes de fin d’année. Bien des bonhommes de neige – de diverses tailles et corpulences – étaient nés de l’engeance du ciel, sous les paumes tant enfantines qu’adultes. L’épouse McIntyre n’était pas en reste, aidant dans un premier temps ses cousins à cette tâche ardue, puis retournant en enfance avec ses comparses d’autrefois. Certes, une dame ne batifole pas dans la neige, ce qui ne l’avait pas empêché de trouver une carotte et une écharpe pour le nouveau voisin de l’église. Et la bataille de neige qui avait suivie avait prouvé aux habitants de Godric’s Hollow qu’une femme pouvait parfaitement gagner une guerre aussi enfantine. Les enfantillages pourtant, n’avaient pas duré : vient un temps où il faut retourner à la vie d’adulte et aller travailler, prendre ses responsabilités. Les enfants, après tout, ne sont pas les seuls à recevoir des cadeaux, et la période des fêtes était sans aucun doute l’une des plus rentables pour la boutique de la jeune femme. Pas uniquement celle-ci d’ailleurs. Celle de Londres aussi était régulièrement bondée en l’approche de la date fatidique. Aussi Vivian passait-elle ses journées entres Londres et Godric’s Hollow depuis quelques temps. Les trajets étaient longs, mais elle avait bien assez pour s’occuper dans le train ou la voiture. Elle avait naturellement exigé de ses clientes à Londres d’avoir une commande avant une date précise pour être dans les temps. Les modèles étaient exposés depuis début novembre, et elle avait engagé une seconde main pour être certaine de tenir les délais. Ces messieurs – et/ou ces dames – ne sauraient être plus enchantés d’une telle audacieuse toilette. Cela étant, Vivian n’était pas connu pour sa lingerie sage, mais bel et bien pour tout ce qui pouvait lever le fantasme.

Ce jour ne se différenciait pas des autres, exception faite qu’il ne restait plus qu’elle à cette heure tardive, et que l’aiguille filait bien rapidement entre ses doigts, nouant les derniers bouts de dentelles entre eux. Cette commande devait être terminée d’ici demain matin, afin d’être expédiée au plus rapidement. Tout était soigneusement et minutieusement chronométré. Ce ne fut que lorsqu’elle se piqua le doigt avec son aiguille – aïe – qu’elle leva les yeux vers l’horloge pour mieux jurer, la pulpe de l’index entre ses lèvres purpurines. Il se faisait tard : le repas n’allait pas se préparer seul. Aussi, rangeant soigneusement son matériel, elle glissa ce dernier dans son sac habituel avant de procéder à l’extinction des derniers éclairages tout en s’habillant chaudement. Nul doute que les températures s’étaient encore rafraichies. S’extirpant de la boutique, elle n’eut que le temps de fermer à clé et de se retourner qu’un poids vint la percuter sans qu’elle ne puisse rien faire d’autre que se raccrocher tant à la silhouette qu’à la poignée de porte. « Nom de ! » ne put-elle que s’exclamer, laissant ses sacs tomber au sol sous le choc. Digne d’une jeune femme bourgeoise. Rapidement pourtant, elle se baissa pour ramasser ses propres affaires ainsi qu’un vieux bout de tissu qui n’était à coup sûr plus de première jeunesse. « Veuillez me pardonner, il semble que je sois sortie un peu précipitamment et… » Quoi ? Son chapeau ? Oh, le vieux bout de tissu ? « Oh oui, tenez. » Vint-elle répondre, non sans passer un coup rapide de main sur ledit chapeau, le nettoyant et tentant de lui rendre un peu de sa forme. Un rapide regard sur l’homme suffit à lui mettre en mémoire qu’elle ne le connaissait pas. Ou peut-être de vue ? Sorcier ? Mortel ? Une conversation rapide avec une cliente. « Ne seriez-vous pas l’un de nos nouveaux professeurs du lycée ? » Petit village rime souvent avec gros ragots.

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Les bouts de dentelle paradent dans la vitrine, et le myocarde du Londonien s’agite désespérément. Pas d’extase ou d’excitation, il n’est pas de ces mâles qui rêvent de leur dulcinée en petite tenue. Non, chez Mycroft c’est l’embarras qui affirme sa dominance. Alors qu’il se flattait d’être enfin en contrôle de cet environnement hostile qu’est le village tranquille de Godric’s Hollow, alors qu’il croyait avoir dompté la topographie trop accidentée et la vie trop calme qui sont la marque de cet endroit perdu au bout des cartes… Voilà qu’il remet en question son attitude trop sûre. Tout ce tissu, blanc, rouge, noir, couleurs aux significations trop évidentes - l’innocence feinte, le désir revanchard, la sobriété plus affolante que tout le reste - cela lui fait tourner la tête. Nulle part, à Oxford ou à Londres, il n’a vu pareil étalage d’indécence.

Ses joues toujours de la même couleur que la culotte écarlate placée au centre de l’affriolant défilé, le professeur récupère son couvre-chef tout en remerciant confusément la jeune femme.  

Merci beaucoup ! C’est que… j’y tiens, voyez-vous. Valeur sentimentale, tout ça commence-t-il en guise d’explications, non qu’il ait besoin de s’expliquer, mais c’est son côté professoral qui reprend le dessus, défaut professionnel acquis depuis qu’il réside ici. On en a vécu, lui et moi dit-il encore, caressant lui aussi le feutre malmené avant de le replacer sur son front. Et ce geste n’est pas sans lui rappeler là encore des jours meilleurs, la nostalgie le guette alors qu’il croyait l’avoir fuie assez loin pour ne plus jamais avoir à subir ses offensives inattendues.

La voix de la vendeuse le ramène à l’instant présent, et il se reprend. Redresse le dos imperceptiblement, assume à nouveau la posture du maître face à sa classe, et le ton qui va avec, il n’est rien sinon un fidèle portrait - presque une caricature - de professeur anglais venu se perdre dans un village des Cornouailles, lorsqu’il reprend la parole pour confirmer.

En effet, je suis arrivé à la rentrée pour enseigner aux adolescents de Godric’s Hollow… Et d’ailleurs, voilà une question que je me pose depuis mon arrivée mais à laquelle personne n’a pu répondre, pourquoi ce nom ? Godric’s Hollow, je veux dire, à qui ce “Godric” fait-il référence ? Un personnage fameux dans la région ? Voyez-vous, je suis spécialiste de la littérature anglaise, mais nulle part je n’ai croisé ce patronyme…

Il assume que la jeune femme est d’ici, comme tous les gens venus de la capitale il est un peu persuadé que les locaux ne quittent jamais leur patelin. La campagne, pour un citadin, c’est un endroit dont on ne bouge pas - si l’on y naît, on y demeure, et si l’on y vient, on y meurt. Il se considère comme l’exception à cette règle : lui n’est ici que pour fuir ses ennuis, il reviendra à Londres sitôt cette fièvre de la sorcellerie passée.

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La boutique n’est pas très conventionnelle, mais les habitants ont depuis bien longtemps cessés de s’en offusquer. Sans doute parce qu’après tout, c’est l’une de leurs enfants qui la tient, et qui participe à la vie commerçante du village. Quant aux femmes, elles sont heureuses de pouvoir s’émanciper et de porter ce qui leur plait. Tant à Londres qu’ici, Vivian n’a jamais connu autre chose que le succès. Et si certains mâles s’empourprent encore de l’audace, ils n'en demeurent pas moins comblés une fois le rideau de l’alcôve tombé. Elle ne s’en offusque pas l’ancienne Dursley, pas plus qu’elle ne relève le faciès de son vis-à-vis, comme tout un chacun, il s’y fera, et sans doute le retrouvera-t-elle-même d’ici quelques temps, lorsque lui viendra l’idée d’offrir quelque chose à sa dulcinée. Ce ne serait pas la première fois, et sans doute nullement la dernière. Même Samuel a fini par s’y faire, ne s’offusque plus des couleurs de tissus – ou de l’absence de tissu – et n’invoque plus le diable en permanence pour les idées qui vont et viennent dans l’esprit de la McIntyre. Par ailleurs, ne lui a-t-elle pas promis de s’occuper bientôt de son cas ? L’esprit malicieux n’a pas oublié la plaisanterie. Elle n’oublie rien la Dursley, tout du moins, quand elle n’est pas sous potion ou autre influence magique.

Aussi revient-elle au nouveau visage qui toise la dentelle, puis la jeune femme qu’elle est. « Ne vous inquiétez pas, je comprends parfaitement. » souffle-t-elle dans un sourire poli. Elle-même possède bien des bijoux ou autre ayant plus de valeur sentimentale que de réelle importance pécuniaire. « Vous avez eu de la chance qu’il n’y ait pas de vent aujourd’hui, c’aurait été une sacrée course de le rattraper auquel cas ! » Plaisante-t-elle, mais à moitié. Le vent dans les Cornouailles peut parfois se montrer virulent, plus encore pour eux qui se trouvent non loin de la mer. Un objet, une feuille qui s’envole… et l’on peut d’ores et déjà le considérer perdu.

Elle hausse un sourcil sous sa question, avant d’hocher la tête, conservant toujours son sourire poli. « Bienvenue chez nous dans ce cas ! J’espère que vos élèves ne sont pas trop polissons… » Elle-même n’était jamais allée au lycée ici, envoyée à Paris pour y apprendre les bonnes manières dans une école privée. « Oh ! Je suis étonnée que personne ne vous ait envoyé voir notre bibliothécaire, Agatha. Elle regorge d’histoires en tout genre sur Godric’s Hollow, bien que je me demande parfois si elle n’en invente pas la moitié. » Confia-t-elle, soupçonneuse. « Mais pour vous répondre, l’origine tiendrait d’un chevalier qui vivait ici, Ser Godric. À l’époque, le village portait un autre nom, mais je ne saurai vous dire lequel. Toujours est-il que l’histoire raconte que ce chevalier aurait fait acte de noblesse, ou qu’il aurait terrassé un dragon qui terrorisait la région, raison pour laquelle le village aurait été rebaptisé en son honneur. » Une semi-vérité, mais la jeune femme elle-même ignorait la réelle origine de tout cela. Bien sûr, on avait rebaptisé le village en l’honneur de Godric Gryffondor, mais certainement pas pour une chose aussi commune que la mise à mort d’un dragon. La création d’une école en revanche… « Cela parait un peu farfelu n’est-ce pas ? Fut un temps, je ne croyais pas le moins du monde à cette histoire… Mais les derniers évènements remettent bien des choses en perspective. La magie semble exister… alors pourquoi pas un dragon ? » Créature qu’elle espérait bien ne jamais rencontrer de sitôt. Le village avait déjà été terrorisé par des créatures magiques qui s’étaient invités dans les rues, et elle-même avait du faire face à des choses qui hanteraient ses cauchemars à jamais.

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Si on lui avait dit, un an auparavant, qu’il viendrait un jour vivre à Godric’s Hollow de son plein gré, Mycroft aurait cru à une mauvaise plaisanterie. Pourquoi donc quitterait-il la capitale qui l’avait vu grandir, lui le citadin bardé de diplômes ? Non, jamais il ne partirait de Londres, il tenait bien trop à ses petites habitudes, aux parcs du quartier de Bloomsbury, au pub qui faisait le coin de Baker Street et de Wisteria Lane.

Mais tout cela, c’était avant. Avant cette fièvre qui a saisi la cité, la rendant inhabitable pour Mycroft Fitzpatrick, jusqu’alors heureux directeur de l’école de magie par correspondance MAGIVIT. Impossible de poursuivre cette lucrative activité alors même que la police du royaume est aux aguets pour la moindre activité supposément magique. Alors même que Mycroft, en tant que directeur d’une école inexistante (il n’avait eu qu’une dizaine d’élèves, suffisamment idiots ou suffisamment riches pour payer les longues missives qu’il leur envoyait, bardées d’instructions sur la meilleure manière d'entretenir un balai magique ou d’attirer à soi les chats noirs), est le mieux placé pour savoir ce que le reste du pays semble avoir oublié : la magie, cela n’existe pas.

Il n’empêche qu’il a fui. Quand les forces de l’ordre décident de quelque chose, dans son expérience, il vaut mieux prétendre être d’accord - ou fuir. Et Mycroft a toujours été doué pour la fuite. Et voilà comment, depuis septembre de cette funeste année 1954, il se trouve ici, passant ses journées à enseigner à une classe rétive d’adolescents boutonneux.

Au moins la demoiselle qui lui fait face semble-t-elle plus réceptive à son charme professoral que les élèves de l’école secondaire. Elle sourit un peu avant de lui répondre poliment qu’il aurait pu se renseigner à la bibliothèque locale. Une vive rougeur envahit à nouveau le visage du professeur lorsqu’il se souvient de sa dernière visite dans cet endroit. La manière dont Agatha - pourtant une dame adorable, le reste du temps - les a chassés, lui et le jeune Mr Smirnov, alors qu’ils ne faisaient que discuter poésie… Mais il semblerait que cet événement n’ait pas encore fait le tour des commères de Godric’s Hollow - tant mieux. Il n’a pas fui la capitale pour se retrouver à nouveau soupçonné de quelque chose qu’il est loin d’avoir fait - et qui est tout aussi loin d’être un crime.

Il hausse un sourcil interrogateur alors que la jeune femme lui explique le mythe médiéval supposément à l’origine du nom du village. Godric le pourfendeur de dragons… Mycroft a beau fouiller ses souvenirs les plus obscurs, il ne lui semble pas avoir déjà entendu parler de cette légende - et pourtant, les légendes médiévales, c’est littéralement son rayon.

Farfelu est le mot, en effet abonde-t-il, satisfait de voir que son interlocutrice n’a pas cédé aux sirènes de la démence ambiante. Satisfaction qui fond comme neige au soleil - bien que ce dernier soit encore loin de pointer le bout de son nez sur les côtes anglaises - lorsqu’il réalise qu’elle croit elle aussi aux bobards qui se sont répandus partout ces derniers mois.

Allons, mademoiselle… Vous n’allez tout de même pas me dire que vous croyez ces balivernes ? De la magie, des dragons… Et pourquoi pas des hydres ou des sphinx vivants ? Non, mademoiselle reprend-il avec son plus beau ton péremptoire d’universitaire la magie n’existe pas, de la même manière que marcher sous une échelle ne peut pas vous causer de tort - sauf si l’échelle en question est branlante, évidemment.

Fier de sa petite pique, il replace son couvre-chef sur son front. Voilà comment on remet à leur place les gens - les idiots, retient-il de justesse - qui croient encore à la puissance d’un abracadabra.

Vous parlez d’événements… reprend-il, un rien plus doucement - après tout, il ne voudrait pas vexer la sympathique demoiselle qui n’a rien fait d’autre que d’être sujette à la faiblesse de son sexe, celle de vouloir croire aux histoires et aux légendes comme d’autres croient au prince charmant. Qu’avez-vous donc vécu pour douter ainsi de la réalité même ?

Car il est tout de même un peu curieux, le Londonien. Que peut-il bien se passer à Godric’s Hollow qui cause de tels délires partagés par tant d’habitants ?

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La logique voudrait qu’elle soit au courant de toutes les entrées dans le village, que ses petites souris lui rapportent toute information susceptible de l’intéresser, permettent à ses chasseurs de faire leur office. Il arrivait parfois que certaines passent de côté, à la trappe, permettant un effet de surprise, ou à l’ancienne Dursley de mettre un peu la main à la pâte. Avait-elle eu vent de l’arrivée du Fitzpatrick ? Assurément, avec le poste occupé, aucune chance de le louper. Avait-elle accordé du crédit aux murmures sur son passage ? À peine. S’était-elle penchée sur son passé ? Sans doute était-ce en cours. Toujours était-il qu’elle l’avait catalogué dans les personnes insoupçonnables… pour le moment. Cette rencontre lui permettrait peut-être de revoir son jugement, ou tout au contraire, de le laisser dans la pile des personnes inoffensives. L’habileté de la conversation lui permettrait au moins de se faire une idée un peu plus précise de la personne en face de lui. Quelle aubaine finalement qu’ils se rencontrent enfin… Pour un peu, on pourrait croire que tout est orchestré… mais n’allons pas accorder le crédit à la barbare de faire tourner le hasard en sa faveur. Sa notoriété est bien assez grande comme cela.

Et si elle dénote la légère rougeur sur le visage du nouveau professeur de Godric’s Hollow, l’épouse McIntyre semble la mettre sur le compte du froid de l’hiver plutôt que le soupçon d’un inconfort dont elle n’a pas encore eu vent. Les commères du village représentent la première source d’informations dont elle peut user et disposer sans éveiller les soupçons. Les femmes parlent voyez-vous, et c’est un atout que tous les hommes tendent à dénigrer. Si soupçon de surnaturel venait à se montrer dans le village, assurément, les bavardes du village seraient les premières à relayer l’information, tout comme l’arrivée d’un nouvel habitant. N’allez pas croire toutefois que les braconniers tombaient immédiatement sur le nouveau venu… le réseau d’espionnage passait en priorité. Mais n’allons pas révéler tous les secrets de la barbare, tandis que la conversation se poursuit délicieusement. Elle aime son village la jeune femme, elle aimait autrefois les vieilles légendes qui courent dessus, les vieilles rumeurs… Le temps lui avait volé son innocence. La magie, elle voulait y croire lorsqu’elle était enfant, elle voulait la voir naitre dans les choses les plus innocentes du monde. Mais l’aura humaine est particulièrement mauvaise. La magie, elle pouvait l’accepter, mais que des humains puissent la contrôler ? Hérésie.

Elle eut un sourire affable sous la petite remontrance du professeur, clignant des yeux avec amusement sous sa vindicte, ne cherchant pas même à le reprendre sous son appellation, l’alliance ornait sa phalange, mais quelle femme n’apprécie pas de passer pour jeune fille à ses heures perdues ? À certains égards, il pourrait presque lui rappeler un membre de sa famille. « La magie, ça n’existe pas. » soufflait-on autrefois dans les chaumières. Force était de reconnaitre qu’ils avaient torts, eux les vieux chasseurs de sorcières qui pensaient avoir annihilé la magie dans le passé. Elle observe le pompeux naitre sur son faciès, alors qu’il remet son chapeau en place, et qu’elle-même étire ses lèvres d’un rictus amusé et pourtant ô combien carnassier. Un naïf de plus, qui se croit à l’abri de la réalité et se tort d’inconfort lorsque le voile de la réalité tombe devant ses yeux. Elle redresse pourtant la tête l’ancienne Dursley, dardant ses prunelles dans celles de son vis-à-vis, tient son silence comme une réponse à sa pique, alors qu’il reprend finalement, semblant calmer l’ardeur que lui prévaut son sexe. Une interrogation, alors que de nouveau, le sourire de la jeune femme s’étire de plus en plus. « Juin 1954, monsieur Fitzpatrick, le 02 de ce mois précisément, le village a vécu l’un de ses plus gros drames de l’année. D’étranges créatures, animaux, bêtes monstrueuses, ont déferlées dans les rues du village. Nous avons eu de nombreux blessés ainsi que quelques morts à déplorer ce jour-là. » Elle-même avait été blessée ce jour-là, avait combattu ces sales araignées géantes. Elle avait manqué de perdre sa couverture. « Suivez-moi. » qu’elle souffle, resserrant son écharpe autour de son coup, marquant la neige de ses propres pas, alors qu’elle se dirige un peu plus dans le Northside, entraine son comparse jusqu’à une vieille bâtisse abandonnée un peu plus en retrait, vieille boutique qui semble avoir subi quelques dommages. « Cette boutique a eu le malheur de se trouver sur le passage d’une créature semblable à un rhinocéros, mais bien plus grosse et avec une corne pouvant faire exploser tout ce qu’elle touchait. » (eruptif). Du bout des doigts, elle caresse les traces noires dues à l’explosion. « J’étais moi-même dans une autre partie du village quand j’ai été attaquée par des araignées géantes et piquée par une bestiole bleue. Libre à vous de me croire monsieur Fitzpatrick, ou de me croire folle. Mais si vous ne me croyez pas, je ne saurai que trop vous conseiller d’interroger les habitants de ce village et de vous intéresser aux bâtiments qui portent encore les stigmates de cet évènement. » Tous ici avaient été témoins de l’horreur de voir leur village attaqué par ces bêtes monstrueuses… ou fantastiques. « Sans nos chasseurs de sorcières, je crois bien qu’il y aurait eu plus de dégâts. » Qu’elle assène, se redressant.

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Il feint l’intérêt, mais tout ce qu’il désire à présent, c’est de rentrer chez lui. Retrouver Doyle - le chien, pas l’auteur : un chiot recueilli sans trop y penser dans les rues de Londres bombardée, et devenu son compagnon de route des quinze dernières années. Mettre un disque sur la platine, une symphonie ou peut-être même un morceau de jazz doux, Sydney Bechet peut-être ? Allumer un feu dans le poêle, entamer un roman - il se passionne pour la littérature russe, ces derniers temps. En lieu et place de tous ces gestes qui forment son quotidien de professeur tranquille, qui maintiennent cette façade nécessaire pour échapper à la fièvre de cette chasse aux sorciers, le voilà à discuter avec cette jeune femme visiblement perturbée. Mais bon, elle lui a rendu son chapeau, alors il peut bien prendre quelques minutes pour écouter son histoire : il n’aura qu’à la saluer poliment après, espérant ne plus croiser sa route. Godric’s Hollow est petit, mais pas tant que ça…

La voix de la jeune femme, lorsqu’elle finit par lui répondre, est toutefois plus dure que ce qu’il attendait. Il suit ses pas dans la neige fraîche, s’éloignant de sa destination initiale. Il est indéniable qu’il dispose d’un talent surnaturel pour se fourrer dans les ennuis, le professeur. Mais celui-ci ne semble pas trop dangereux : il aperçoit bientôt les toits familiers du quartier de Northside, et laisse glisser un soupir de soulagement en réalisant qu’ils ne se sont pas tant éloignés que cela. Sa propre résidence est à quelques rues de là, il reconnaît l’endroit à présent. Ils sont devant une vieille bicoque abîmée par le temps, visiblement victime d’une sorte d’incendie assez récemment. Juin 1954 : il n’était pas encore arrivé à Godric’s Hollow, vivait encore dans cet appartement de Belgravia qu’il sous-louait à un ami plus fortuné, payant grâce aux revenus accumulés par l’école de magie par correspondance MAGIVIT.

Il écoute le récit de la jeune femme, ses yeux encore incrédules. D’étranges animaux ? Un cirque itinérant, sûrement, du genre à surprendre des paysans jamais sortis de leur coin paumé… Il remarque au passage une alliance qui luit à son doigt, rappel de son propre anneau : il doute cependant que leurs histoires soient similaires. Son mariage à lui n’est qu’un mensonge, une pirouette de plus, qui lui permet d’éviter les questions trop inquisitrices. Il est facile de prétendre avoir perdu une épouse, facile d’inventer la vie d’une trépassée supposément aimée. Nettement moins aisé, vu l’époque, d’avouer que s’il a aimé, c’était un homme. Un académicien brillant, un auteur à ses heures perdues, un être tendre et passionné, mais un homme avant tout. Alors il ment, comme il sait si bien le faire : elle s’appelait Carla, ou Charlotte, ou Clarissa. Venait du Piémont, de Savoie, d’Irlande. Aimait les chiens, les balades le long de l’Isis, les fleurs, les romans d’aventures. L’identité de l’aimée change en fonction de son interlocuteur, mais toujours elle reste transparente : une femme dont le décès l’aura davantage marqué que sa vie à ses côtés.

Ses pensées errent un instant, mais reviennent bien vite au récit de la jeune femme. Il se fiche de l’histoire derrière son anneau à elle (quelles promesses ? quels mensonges ?), mais ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux lorsqu’elle lui explique qu’un rhinocéros a causé les dommages qu’il peut aujourd’hui observer.  Impossible… souffle-t-il. Mais son ton perd progressivement la certitude professorale qui le caractérise.

Des araignées… géantes ? demande-t-il, incrédule mais pourtant déjà occupé à se représenter les créatures. Il n’a guère la phobie des arachnides, mais tout de même, des araignées géantes, il n’est pas sûr d’aimer ce que cela laisse imaginer. Ses pupilles claires s’attardent sur le bâtiment. Observent les marques sombres, sans savoir s’il s’agit d’une mise en scène ou si le récit qu’on lui fait est basé sur une quelconque réalité. Mais, se force-t-il à raisonner, Oxfordien jusque dans son doute, s’il s’agit d’une mascarade, cela voudrait dire que le village tout entier est impliqué. Tout le pays, à la réflexion.  Impossible… répète-t-il, la voix pourtant indicatrice du doute qui s’installe.

Des chasseurs de sorcières ? Je croyais que cela avait cessé depuis… Depuis des siècles. Il le sait, c’est un phénomène qu’il a étudié : la figure des femmes de magie dans l’oeuvre de Shakespeare, à l’époque même où les persécutions commençaient, un sujet de dissertation - il a d’ailleurs obtenu un excellent résultat pour ce papier, si ses souvenirs sont bons.  Je… Vous avez raison finit-il par prononcer. Non pas qu’il veuille confirmer l’intégralité des propos de la jeune femme, aussi s’empresse-t-il de préciser - il ne voudrait pas qu’on le croie assez idiot pour tomber dans le premier panneau venu, la magie cela n’existe pas, que diable !  Il faut que je me renseigne davantage. Cela tombe bien, je suis justement doué pour la recherche… Y a-t-il dans ce village un homme de science ?

Il demande cela comme un passant, quelques siècles auparavant, aurait demandé à voir l’ancien du lieu. Perclus de pensée oxfordienne et de la misogynie des temps, Mycroft n’envisage pas un instant que la demoiselle - dame, doit-il corriger mentalement - puisse lui fournir les réponses qu’il attend. Mais un homme, et un scientifique qui plus est, voilà la personne qui pourrait lui faire entendre raison.

Merci, madame, pour vos… Éclaircissements. répond-il, trop secoué pour mieux formuler sa pensée confuse. Soyez assurée que je me renseignerai. Et… Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses : si j’ai pu vous insulter, ce n’était aucunement volontaire. La maladresse du nouveau venu, n’est-ce pas ? dit-il encore, davantage pour lui-même que pour cette femme à laquelle il ne doit rien.

Je devrais rentrer, à présent… Mais je vous remercie encore. Pour le chapeau achève-t-il, touchant deux doigts au rebord du feutre dans un salut légèrement suranné, et pour votre récit. Vous m’avez… Intrigué. Merci, et bonne soirée !

Et il s’enfuit, bien plus qu’intrigué. Terrifié. Et si, après tout, la magie existait ?

Les implications d'une telle question sont bien trop lourdes à porter.

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