« Il est NEUF HEURES et tout VA BIEN ! » éructa l’immense pendule qui régissait les rythmes de vie des employés d’Obscurus Books. Douce fantaisie, héritée d’un patriarche passionné par l’horlogerie sorcière, le carillon avait une fâcheuse tendance à vous faire sursauter si vous ne vous attendiez pas, et avait ainsi occasionné plus d’un accident à base d’encrier renversé. Aucun Parkinson digne de son sang n’aurait toutefois songé à remplacer l’encombrant appareil : il s’agissait d’une tradition, et si la “maison” suivait une seule règle, c’était celle-là même - la tradition.
L’appel de l’horloge tirait d’ordinaire un sourire à l’éditrice principale, la ramenant à de forts agréables souvenirs d’une enfance passée à courir après un père trop occupé, et pourtant sans cesse idéalisé. Patroclus Parkinson ne s’était que rarement soucié de ses enfants, et encore moins des deux fillettes que lui avait donné sa femme Cordelia. Mais Mona n’était point de ces natures fragiles qui se lassent rapidement de ce qu’on leur refuse. Elle s’était battue, pendant des années, des décennies même. Et elle avait gagné, quelques maigres victoires disparates, qui lui avaient cependant permis d’espérer qu’un jour lointain, le paternel reconnaîtrait qu’elle était sa plus digne descendante. Les voyages à l’étranger, pour assister à des conférences suprémacistes de la plus haute envergure ; l’apprentissage de la légilimencie ; l’entrée dans le monde de l’édition : chacune de ces étapes lui avait laissé croire qu’un jour, elle prendrait les rênes de tout ceci.
Depuis son siège confortable, dans le plus grand des bureaux du premier étage, Mona ne souriait pourtant pas. Déjà, parce que malgré tous ses efforts sans cesse renouvelés, elle n’était pas devenue directrice de l’entreprise familiale. La vexation était quotidienne, mais la démangeait d’autant plus lorsque d’autres administrateurs tentaient de s’opposer à ses plans - occurrence de moins en moins fréquente, ce qui satisfaisait à la fois ses nerfs et ceux des administrateurs en question, peu habitués aux pressions qu’elle ne se privait point de leur faire subir si elle le croyait nécessaire. Mais aujourd’hui, elle avait une nouvelle raison de ne pas laisser ses lippes soigneusement apprêtées s’étirer en un sourire qu’elle savait moduler comme personne d’autre. La nouvelle stagiaire était
en retard.
« Alastair ? » appela-t-elle, la porte entrouverte de l’office donnant sur celui de son secrétaire.
« Toujours rien, Madame Parkinson » répondit diligemment le filiforme assistant, comme si ce n’était pas la cinquième fois que sa patronne l’appelait ainsi, la même question dansant au bord de ses lèvres joliment peintes. L’homme avait une patience angélique, et des capacités mnémoniques absolument éblouissantes, au point où Mona le soupçonnait d’user régulièrement de l'Élixir Cérébral de Baruffio - un usage qu’elle n’aurait pas explicitement désapprouvé, tant que le jeune homme demeurait discret et entièrement dévoué à son service. Elle avait même songé à le détacher au Ministère, mais craignant - sans doute à juste titre - que cela ne soit perçu comme une tentative d’ingérence, elle s’en était retenue. Elle en était au point de ses réflexions où demander à Alastair s’il n’avait pas un cousin quelconque aux capacités similaires ne semblait plus aussi saugrenu, lorsque ce dernier frappa doucement à l’huis.
« Madame Parkinson ? Votre rendez-vous de neuf heures » annonça-t-il, insistant, si discrètement qu’elle crut l’avoir rêvé, sur l’horaire du rendez-vous en question. Le cadran de la montre à gousset que portait Mona affichait - un regard rapide lui permit de s’en assurer - neuf heures passées de sept minutes. Peut-être la petite s’était-elle tout simplement perdue en chemin. Sa mère se rendait peu souvent dans les bureaux d’Obscurus Books, après tout, et Meredith avait encore moins souvent l’occasion de l’accompagner.
« Entre donc, Meredith ! Alastair ? »« Le thé sera prêt dans un instant, Madame Parkinson » répondit l’ineffable secrétaire.
« Merci beaucoup » glissa-t-elle avec simplicité. Alastair n’était pas un elfe - même si elle l’exploitait parfois d’une manière quelque peu similaire, attendant de lui qu’il effectue une liste de tâches allant de l’accessoire à l’essentiel - et pas forcément dans cet ordre. Aussi méritait-il ce remerciement, sans toutefois dépasser les limites d’une gratitude entièrement professionnelle. Parfois, le garçon lui semblait un peu
trop dévoué… Il ne fallait point que les gens se fassent des idées.
« Prends donc place, ne reste pas là ! » intima-t-elle ensuite à Meredith Travers d’une voix chaleureuse, modulations parfaites qui trahissaient l’habitude féminine de s’adapter instantanément à son interlocuteur - et, dans le cas présent, à son interlocutrice. La jeune femme n’avait -
malheureusement pour elle, ne pouvait s’empêcher de songer Mona - pas hérité de tous les traits parfaitement élégants de sa génitrice, mais un certain air de famille demeurait perceptible à l’oeil exercé : et, sans nul doute, celui de Mona l’était. La sorcière aux yeux pers se leva de sa cathèdre située derrière un imposant bureau d’acajou verni, et gesticula en direction de deux confortables fauteuils situés près d’une fenêtre ensoleillée, lesquels agitèrent aussitôt leurs petites pattes pour s’offrir de manière plus accueillante à la visiteuse.
« J’ai l’impression que cela fait une éternité que je ne t’ai plus vue… » reprit la brune, sans marquer l’hypocrisie de ces mots, pourtant soigneusement choisis. Elle recherchait bien souvent la compagnie de Mary, moins celle de sa fille - dont la crise d’adolescence avait un peu trop duré, de l’avis même de sa mère. Si elle adorait ses propres enfants, en effet, la sorcière ne faisait que peu de cas de ceux des autres… À moins qu’ils ne puissent lui être utiles - ou mieux encore, mais plus rare également : à moins qu’ils ne soient suffisamment
intéressants.
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