Cela faisait une éternité qu’ils n’avaient pas pris le temps de passer une soirée ensemble. Entre le calendrier mondain de l’une et l’agenda de travail de l’autre - non qu’elle n’ait pas de
travail. Mona savait tout simplement se souvenir de l’importance des événements qui concernaient d’autres personnes, ce qui semblait encore échapper à son cadet… Mais elle lui pardonnait bien volontiers cette maladresse, tant qu’il ne se permettait pas de l’embarrasser en oubliant quelque chose d’aussi crucial que son anniversaire - le temps filait sans leur offrir l’occasion de partager un moment, alors même qu’ils ne cessaient de se croiser en réunion du Conseil d’Administration ou dans les couloirs de la maison d’édition familiale.
Ce soir, cependant, Mona était parvenue à obtenir de son cadet qu’il passe quelques heures en sa compagnie. La promesse d’un opéra sorcier avait suffi à éveiller son intérêt, quant à savoir si elle suffirait à le conserver… Rien n’était jamais tout à fait certain avec Aeneas Parkinson. Elle savait toutefois pouvoir compter sur la dernière acquisition de ce dernier, un PlumoRappel fort utile, pour le sortir de son habituelle torpeur intellectuelle, méandres labyrinthiques dans lesquels il se complaisait jusqu’à en perdre la notion même du temps qui passait. Et c’est ainsi que la sorcière aux yeux pers si caractéristiques de la lignée Parkinson pouvait se présenter devant la résidence de son petit frère avec une confiance raisonnable en l’état de préparation de ce dernier.
On lui ouvrit et elle passa le seuil sans un regard pour la servile créature chargée de l’entretien des lieux - comme il convenait à tous les sorciers et sorcières de son rang, Aeneas avait eu le bon sens de doter son ménage d’un soutien logistique en la personne d’un elfe de maison, dont Mona ne s’était évidemment pas donné la peine d’apprendre le pseudonyme.
Dipsy, peut-être ? Les elfes semblaient affectionner ces noms ridicules, aux consonances étrangement enfantines, non qu’elle se soit jamais souciée de la raison d’une telle préférence affichée. Certains êtres - les elfes, les Moldus et les autres créatures capables de magie à divers degrés sans pouvoir se targuer d’un ichor à la pureté recensée sur trois siècles - ne méritaient aucune parcelle de son attention à moins de se comporter de manière tout à fait extraordinaire.
« Aeneas, dear, es-tu prêt ? » appela-t-elle comme si elle se tenait en sa propre demeure. L’aînée des Parkinson n’avait jamais désappris cette façon presque maternelle de se tenir en toutes circonstances comme si elle était la maîtresse de maison. Et puis, elle connaissait Aeneas comme si elle l’avait fait… Cela expliquait qu’on lui passe généralement ce minuscule écart à la bienséance, d’autant plus que l’épouse se faisait rare en sa présence. Mona et sa belle-soeur entretenaient une relation fragile - bien qu’elles soient toutes deux promptes aux efforts, tant le bien-être du frère et du mari leur importait.
Mona elle-même était évidemment prête - et tout aussi évidemment parfaite. Une robe de satin vert bouteille flattait ses courbes, couvrant ses bras et ses épaules, mais dénudant presqu’entièrement son dos, qu’étreignait un léger châle de soie enchantée pour accorder sa teinte irisée à celle du vêtement avec lequel on l’appairait. Les échancrures de la robe étaient piquetées de diamants qui, pièce par pièce, auraient permis à une petite famille de terminer l’année dans le faste. Avec cela, point n’était besoin de bijoux, et seules deux barrettes d’or pur retenant les mèches de son épaisse chevelure auburn complétaient l’ensemble. Le tout était à la fois sobre et merveilleusement décadent sans jamais paraître obscène, une délicate alchimie dont était coutumière la sorcière aux yeux pers. N’était pas reine de la petite société sorcière qui voulait, et Mona aimait à croire qu’elle régnait sans partage sur l’univers qu’elle graciait de sa présence.
« Ah, te voilà ! Juste un détail… » tança-t-elle gentiment, ajustant d’un geste de sa baguette la fleur affixée en boutonnière - et la colorant au passage d’un très joli céladon bien mieux accordé à sa propre tenue -
« et te voilà parfait. Nous pouvons y aller ! »Un instant plus tard, le couple des adelphes franchissait le seuil de l’opéra sorcier de Londres, vaste structure dissimulée derrière les colonnades sans prétention d’une bâtisse baroque, dans le quartier du West End.
« J’ai l’impression que cela fait une éternité, depuis notre dernière visite ici… » Le soupir n’était pas dénué d’une sincère nostalgie, tant les soirées de la capitale lui manquaient en effet. Suite à la disparition de Quintus, la reprise en main des affaires familiales et un paquet d’autres préoccupations de natures variées - le plus souvent politiques, d’ailleurs, qui l’eût cru ? Mona passait énormément de temps au Ministère, bien qu’elle n’y travaille point, et la présence de sa meilleure amie entre les murs ne suffisait guère à expliquer
toutes ses visites, bien qu’elle en justifie la majorité - les soirées culturelles partagées avec son petit frère s’étaient faites rarissimes.
« J’espère que le spectacle te plaira, j’ai eu l’occasion de conseiller l’autrice - oui, c’est une jeune femme tout à fait prometteuse - sur son livret, et je suis curieuse du résultat. Elle nous a d’ailleurs réservé deux places au meilleur balcon, et ne t’en fais pas, j’ai apporté deux paires de Multiplettes - je sais que tu oublies toujours la tienne » plaisanta doucement la brune, progressant au travers de la foule avec une aisance qui dénotait l’habitude presque rituelle. Elle saluait ici et là d’un geste de la tête, agitant doucement son éventail de la main qui n’était pas posée au creux du bras de son petit frère. Oui, ce genre d’événements lui avaient profondément manqué, surtout lorsque la compagnie était d’une telle qualité. Elle ne saurait jamais assez exprimer sa gratitude à Aeneas, qui n’avait que faire des mondanités, de bien vouloir ainsi l’accompagner pour profiter d’un moment culturel de qualité.
défi hebdomadaire : RP roulette (1035 mots)