temporalité du rp : 01 novembre 1981
personnages concernés : Dolores Abbott & Adam Bagshot
trigger warnings : décès, deuil
intervention autorisée du mj : [ ] oui [x] non
autre(s) : défi hebdomadaire jeux 2024

IN FOR THE KILL - 2021-2022

La Gazette matinale attend bien sagement d’être ouverte, le hibou grassement rémunéré retournant à ses pénates postales. Il a toujours détesté lire les journaux. Les mots sont froids, imprimés ainsi en minuscules caractères, et cette manchette qui déborde et s’exclame, c’est trop pour lui. Aussi délaisse-t-il la presse papier, attendant que sa femme lui en fasse la lecture - des morceaux choisis : elle sélectionne pour lui les principaux récits, évitant comme la peste tout article signé Skeeter. Ils écoutent toujours la radio, cependant, c’est un rituel entre eux, du genre qui énerve leur aîné lorsqu’il passe en coup de vent dans la cuisine, en retard pour sa journée de travail au Ministère. Alors l’engin est mis en sourdine jusqu’à son départ, les nouvelles matinales assourdies pour laisser place à la sempiternelle admonition :

« Sois prudent, Tommy ! On t’aime ! »

Réponse marmonnée sur le ton de l’adulescence embarrassée, il a presque vingt ans tout de même, il n’est plus un bébé - mais lui aussi les aime, et chez les Bagshot on se dit ce genre de choses. Comme tous les matins, il promet, il sera prudent.

Et le cœur du père se gonfle d’une fierté indicible lorsqu’il voit partir l’enfant trop vite grandi. L’aîné de la fratrie suit la voie des héros dont son paternel rêvait autrefois, ces Aurors qui luttent sans relâche contre la menace que ses parents ont échoué à éliminer, qu’ils n’ont pu qu’endiguer - pour un temps. Car aujourd’hui, les mages noirs ne se cachent plus, leur meneur a dévoilé son nom au monde entier - clamant au passage un titre de noblesse qui inspire tant de terreur que peu osent le prononcer. Fierté s’entache donc de souci, vigne grimpante qui accroche les pensées d’Adam Bagshot alors qu’il devrait surveiller son pain perdu, et comme tous les matins depuis quelques temps, il manque de peu de démarrer un petit incendie. Il sait qu’il devrait faire confiance à son fils aîné, que ce dernier, malgré toutes ses plaisanteries et ses incorrigibles boutades, est un jeune homme parfaitement responsable. Il sait, bien sûr, mais que peut la raison face au cœur ?

La viennoiserie est sauvée de justesse, posée sur une assiette qui n’attend que l’arrivée de sa propriétaire - occupée à s’éterniser sous la douche, comme toujours. Il monterait bien la rejoindre, songe-t-il soudain, mais déjà son pas léger se fait entendre dans l’escalier du cottage qu’ils ont fait construire sur les falaises galloises. Une demeure confortable, spacieuse sans jamais sembler vide tant les enfants la remplissent de mille bruits - la remplissaient, déjà il faut conjuguer le terme au passé, le temps vole et emporte avec lui les rires des enfants, leurs disputes parce que Mamaaaaaan, y a Gracie qui m’a piqué ma clé à molette ! ou parce que Papaaaaa, c’est Edward qu’a commencé ! Ne restent que les photos soigneusement encadrées sur les murs, pour raconter ces instants trop vite écoulés. La cérémonie de diplomation de Thomas, qui paraît plus grand encore que son père, pour peu que ce soit possible ; Edward et son frère aîné, jouant au football dans le jardin en plein été ; Oncle Arthur, tenant d’une main le balai récalcitrant d’une minuscule Grace qui s’exerce au vol. Un couple souriant, Dolly et Adam alors jeunes et fringants - non qu’ils ne soient plus jeunes, protesterait ce dernier si on le lui demandait - elle en robe blanche et lui en costume à la boutonnière assortie, qui la regarde comme si elle était la plus belle chose qui soit jamais arrivée dans sa vie. Parce que c’est le cas, songe-t-il en la voyant apparaître en bas des escaliers. Son étoile n’a jamais cessé de briller, et comme chaque matin, il se précipite pour l’embrasser, pour passer les doigts dans ses cheveux encore mouillés - elle n’a jamais complètement maîtrisé l’art du sèche-cheveux, à moins qu’elle ne choisisse de lui laisser ainsi l’occasion de déclarer son amour, par ce geste toujours recommencé.

« Le petit-déjeuner est prêt » entame-t-il, avant de remarquer la lueur différente qui salit le marron clair des yeux de l’aimée. « Dolly ? Que s’est-il passé ? »

Et le cœur fier et heureux tombe comme une pierre, imaginant mille scénarios de catastrophe sans toutefois parvenir à concevoir celui qu’elle s’apprête à lui annoncer. Et il se déteste de poser la question, il se hait même de mettre ainsi sa douce Dolly dans une telle position, mais la scène est devenue bien trop commune ces dernières années et il faut bien qu’il demande : « Qui est-ce ? » Qui ont-ils perdu cette nuit ? Lequel des leurs a oublié de relever ses enchantements de protection, lequel d’entre eux n’a pas pris assez de précautions ?

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L’eau s’écoulait, délicieusement chaude sur ses membres encore engourdis. Elle était rentrée tard la veille, comme un peu trop souvent depuis que les deux derniers étaient retournés à l’école. Les aléas de la vie de Médicomage, plus encore en ces temps troublées où ses activités ne se limitaient pas aux murs de Ste Mangouste. Au même titre que le Ministère de la Magie, que tant d’autres institutions, l’hôpital était gangréné par un ordre semant chaos et terreur. Ils étaient une toute petite poignée à pouvoir se faire confiance, à se relayer lorsqu’il fallait soigner clandestinement ceux qui résistaient de manière plus musclée, à organiser tout un système pour que le détournement de matériel médical qu’ils opéraient passe inaperçu. Les années étaient passées par là, elle était bien plus prudente que dans sa jeunesse, ne serait-ce que pour la famille qu’elle désirait tant préserver et protéger. Mais elle restait la même personne et elle n’avait pu rester les bras croisés, pas quand elle avait la possibilité et les compétences de faire quelque chose. Seul l’époux était dans la confidence, bien qu’elle soupçonne Thomas de ne pas être dupe… son coeur de mère se serrait en pensant à lui, inquiétude venue de pair avec la parentalité et le souvenir des risques inconsidérés qu’elle prenait au même âge (elle comprenait bien mieux les instincts de protection de son père à présent). Eddy et Grace au moins étaient à Poudlard, plus en sécurité qu’ailleurs. Pensée rassurante pour venir combler un manque certain à l’idée de les savoir si loin. Elle se languissait de l’été, de jouer au Quidditch avec eux, de les voir s’agiter à l’extérieur avec leur père et leur oncle pendant qu’elle profitait du calme pour refaire le monde avec Hazel. Elle l’avait tant voulue cette famille, plus nombreuse que celle qu’elle avait connue mais tout aussi aimante et chaleureuse.

Où personne ne se retrouverait seul, si elle venait à disparaitre.
Parce que l’idée lui avait traversé l’esprit, beaucoup même, dès l’annonce de sa première grossesse. Il lui avait fallu dépasser l’âge que Victoria avait atteint pour que l’angoisse finisse par s’apaiser et qu’elle cesse d’y penser autant.

Une délicieuse odeur de viennoiserie parvint à ses narines et un sourire naquit sur ses lèvres. Ce cottage, c’était son refuge, un lieu de normalité qu’ils faisaient de leur mieux pour conserver, malgré tout ce qu’il se passait dehors et s’infiltrait parfois dans leur foyer; Adam qui l’avait laissée dormir plus longtemps et préparait son petit déjeuner, parce qu’il savait qu’elle était fatiguée, qu’elle aurait faim; leurs trois bébés qu’elle avait portés et qu’ils avaient vus grandir ensemble pour bientôt tous atteindre l’âge adulte; et cette maison, chaque détail qui en faisait un foyer. Tout ça, elle l’appréciait d’autant plus, en goûtait chaque miette depuis le jour où elle avait bien cru qu’elle ne rentrerait plus.

Les interrogatoires du personnel soignant, parfois un peu brutaux, étaient devenus monnaie courante à l’hôpital. Mais cette fois là avait été différente; on était venu la chercher, un matin quelques mois plus tôt, sans doute suite à une dénonciation. Une pensée s’était imposée, celle que tout était terminé. Qu’elle ne reverrait plus ni son mari ni ses enfants, des enfants qu’elle laisserait sans leur mère, comme elle-même l’avait été. Qu’elle ne pourrait même pas dire au revoir.
Elle n’avait pas cédé d’un iota, et une fois de plus, c’était son sang qui l’avait sauvé. Si elle n’en portait plus le nom depuis longtemps, elle n’en restait pas moins une Abbott. La guerre détruisait des vies autant qu’elle nourrissait le grand Capital, et Mangemort ou pas, on y réfléchissait à deux fois avant de contrarier le titan qu’était Poudchem, surtout lorsqu’aucune preuve ne venait corroborer les accusations dont elle avait été l’objet. On l’avait libérée au bout de seulement trois jours, trois jours qui lui avaient pourtant paru une éternité.

Si elle n’avait jamais pris ce qu’elle avait pour acquis, chaque petite chose, chaque petite moment entre ces murs lui semblait désormais plus précieux que jamais. L’appétit ouvert par le délicieux parfum, elle se sécha et s’habilla rapidement avant de passer un coup de sèche-cheveux négligé sur sa tignasse (le faisait-elle exprès ? Oui, parce qu’elle ne pouvait se passer de ce geste d’affection, même après vingt-cinq ans). Dolly dévala les escaliers quatre à quatre afin de rejoindre Adam. Adam qui était là, toujours, compagnon avec lequel elle avait construit leur route, sa force tranquille, aussi nécessaire à sa vie que l’air qu’elle respirait. L’enlacer, l’embrasser chaque matin, des gestes dont jamais elle ne s’était lassée, qui au contraire, n’avaient fait que lui être plus indispensables, l’amour toujours plus profond avec les années. « Tu es très beau ce matin. » Comme tous les matins, comme tous les jours. Le sourire aux lèvres et la voix de velours, elle caressa avec douceur l’arête de la mâchoire de son mari avant de le laisser retourner à ses préparatifs.

Elle inspira et saisit la Gazette comme on saisirait un plat qu’on sait trop chaud. L’appréhension était là, toujours, mais l’habitude avait fini par venir et il n’y avait rien ici qu’elle ne faisait déjà dans son travail où annoncer de tragiques nouvelles faisait partie de son lot quotidien. Elle lisait toujours silencieusement d’abord, choisissant avec soin les extraits à partager, le coeur serré lorsqu’il fallait découvrir les noms des disparus. La petite brune ne connaissait pas une personne qui n’ait pas perdu quelqu’un durant toutes ces années. Elle avait vu avec horreur et douleur d’autres pleurer leurs enfants tout en éprouvant l’immense culpabilité d’être soulagée qu’aucun de ces enfants-là ne soient les siens. Puis tous ceux qu’ils ont perdus dans cet acharnement de haine. Pete, puis Jules à peine quelques années après dont le prénom a été ajouté à celui de leur fille à défaut d’avoir jamais su quel était le monstre qui l’avait arraché à la vie (et ce même si elle avait ses soupçons). Et tant d’autres, beaucoup trop. Trop de larmes, de coeurs brisés, de blessures qu’il fallait pourtant mettre de côté pour ne pas sombrer.

Ce jour là pourtant, elle n’alla pas plus loin que le titre. A peine quelques lignes d’introduction. Les yeux écarquillés, figée par le choc, son regard se détacha du papier pour se poser sur Adam qui exprimait une inquiétude bien légitime. « Adam... » Elle fut incapable de continuer. Elle qui avait toujours quelque chose à dire se trouvait soudain à court de mots, et pour la première fois depuis bien longtemps, elle tourna l’exemplaire du journal et le lui tendit, les gros titres de la une s’étalant dans la direction du blond.

Les mots s’étaient imprimés dans son crâne, prenaient toute la place, l’empêchant de réfléchir.

Alors ça y est, c’était fini ?

Au-dessus du cottage, au-dessus des falaises, une nuée de hiboux avait envahi le ciel.

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