temporalité du rp : août 1955
personnages concernés : @AGNES TRELAWNEY & @ORION FLAMEL
trigger warnings : —
intervention autorisée du mj : [ ] oui [•••] non
autre(s) : —

IN FOR THE KILL - 2021-2022

Il se tenait là, près du quai d’embarquement, le regard veillant tantôt l’horizon dérangé par les silhouettes allant et venant, tantôt sur la vieille montre à gousset lui indiquant une heure encore relativement jeune. Cette montre, n’était pas qu’un simple objet de confort de l’esprit, elle possédait aussi une certaine valeur sentimentale, cadeau qui pouvait paraitre ancestral à quiconque ne possédait pas son âge – plus qu’avancé – d’un enfant aujourd’hui disparu, boutade quant à sa propre et légendaire ponctualité. Depuis qu’elle lui avait été offerte par ses tendres chérubins aujourd’hui trépassés, elle n’avait jamais quitté sa poche, trouvant toujours une place particulière malgré la mode évoluant. Un nouveau regard pour le cadran, et le soupir maintenu dans le pharynx s’étouffe, soufflé par les interrogations de la caboche. « Peut-être est-ce une mauvaise idée ? Peut-être aurait-il dû s’y prendre autrement ? Peut-être ne viendra-t-elle pas, rattrapée par la conscience de ne pouvoir abandonner sa vie actuelle. » Elle, Agnès Trelawney, l’attraction de l’instant, la charmeuse qui s’ignore, l’étincelle fugace dans cette longue existence ? Il en a connu des brasiers passionnels, lui, l’intriguant hédoniste, le coureur de jupons, l’époux de plusieurs générations. Elles ont toutes cette saveur de la nouveauté, puis la cendre pâteuse de l’amertume. Il n’est pas vraiment le meilleur des maris. Pas parce qu’il est infidèle, joueur ou Merlin sait quoi d’autre, mais parce qu’il refuse le partage de ce secret de longévité. Personne ne devrait vivre éternellement. Mantra hypocrite. Peut-être n’est-il juste pas prêt à vivre une éternité auprès de la même personne. Il admire Nicolas et Pernelle pour cela, lui, il se sait bien incapable de jeter au feu ce qu’il est pour quelqu’un de particulier. Peut-être n’a-t-il pas encore trouvé cette exquise perle rare, ou peut-être refuse-t-il de croire qu’elle puisse exister. Et si c’était ELLE ? Impossible. Elle appartient à un autre. Appartenait ? Est-elle-même du genre à appartenir à quelqu’un sinon elle-même ? Le souvenir de feu son époux est pourtant toujours là, bien présent dans les mémoires, dans son regard hanté, dans son sourire nostalgique. Diable, qu’il pourrait se haïr de développer des sentiments pour la gente dame, elle qui vit encore son deuil avec toute la ferveur d’une madone. Il s’est bien promis de ne pas attirer l’attention de Cupidon sur cette probabilité sournoise, mais il n’est pas aussi intangible qu’il ne voudrait le croire. Une nuit, une bouteille, et il s’est permis d’écrire des lignes enflammées. Le souvenir est cuisant, mais il a pour lui les années d’expérience qui lui permettent de composer le faciès courtois et innocent. Jamais elle ne saura que cette lettre provient de lui. Elle ne mérite pas un homme comme lui, quand lui, il souffre de ne pas être accompagné d’une femme comme elle.

Allons, assez d’apitoiement, tandis qu’il porte de nouveau les prunelles boisées sur l’horizon. L’heure du départ est proche, et il n’y a toujours pas de trace de la demoiselle. Sans doute a-t-elle décidé qu’il était préférable de ne pas tenter cette étrange aventure. Mais que diable lui-a-t-il pris de l’inviter ? Un élan. En vérité, il ne le regrette pas, malgré toute l’inquiétude qui le ronge aujourd’hui. Ce n’est certainement pas un voyage romantique, mais bien plus un voyage de découverte, ou redécouverte dans son propre cas. Son altruisme ne connait guère de limites, et il ne peut décemment pas laisser la jeune pâtissière se contenter de reproduire et seulement améliorer les recettes de sa patronne. Elle a ce talent pour aspirer à plus, pour conquérir les palais. L’Inde n’est qu’une étape dans son voyage, il veillera à ce qu’elle poursuive l’aventure, même seule. L’avantage de sa longévité, c’est qu’il peut choisir d’être le mécène des talents qu’il repère. Et elle, cette douce étincelle, n’a pas seulement fait chavirer son palpitant, mais aussi sa gourmandise, son péché de toujours. Elle sera un jour la meilleure dans son domaine, il lui tient à cœur de s’en assurer. Tout du moins, si elle tient à l’être.

« Maitre ? Il est l’heure d’embarquer. » Souffle une petite voix enjouée, quelques pieds plus bas. Doofy, son elfe de maison, surveille tout autant que lui l’heure. Depuis combien de temps est-elle à ses côtés ? Il lui semble que c’est depuis toujours, mais tout juste trente ans en vérité. Progéniture des elfes de maison de vieux amis. « Oui, tu as raison Doofy, il est temps de monter. As-tu fait enregistrer nos billets ? » qu’il souffle, non sans chercher dans cet horizon humain, cette chevelure ensoleillée, cet air rêveur, ce sourire innocemment charmeur. C’est à peine s’il entends la réponse de la petite créature, ses prunelles accrochant enfin ce que son cœur cherche depuis leur rencontre. La nymphe de ses songes d’une nuit d’été, l’imprudente, l’insolente, l’innocente… « Agnès ? »

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Sa valise est pleine à craquer, et même deux sorts d’Allègement n’y ont pas suffi : elle pèse à peu près autant qu’un éléphanteau. C’est du moins ce qu’imagine Agnes, qui n’a jamais aperçu d’éléphant de sa vie. Il y a là-dedans des vêtements chauds, des vêtements légers, des bas de laine et des robes en coton, des pullovers et des chemises de lin, et sans doute assez de cahiers pour remplir une petite papeterie. Quelque part au fond de la malle, qui paraît sur le point d’éclater, elle est parvenue à caler une petite trousse de toilette et une dizaine de paires de chaussettes - parce qu’on ne sait jamais.

Trois fois, Agnes a vidé sa valise. Elle n’avait décidément pas besoin de ce cinquième pull tricoté, ni de ce joli chemisier à fleurs multicolores… Les livres qu’elle avait trouvés à la bibliothèque locale étaient unanimes : l’été indien est chaud et humide, et le soleil y darde ses rayons entre deux averses torrentielles. Ce phénomène saisonnier porte le nom de mousson, et la blonde imagine volontiers les cascades d’eau dans des ruelles étroites, faisant mousser l’écume le long des murs, comme la mer contre les falaises. Elle n’a jamais visité que l’Angleterre, et cet inconnu lointain ressemble sans doute beaucoup trop à ce qu’elle voit au quotidien. Il lui manque les couleurs, et plus encore : les livres décrivent un pays aux cent épices et aux couleurs vibrantes. Elle ne peut qu’en rêver, mais même ses rêves ne s’approchent pas assez de la réalité, elle en est persuadée.

Quatre fois, Agnes a refait sa valise. Et le pull tricoté par son père y a retrouvé sa place - son pull favori, celui qu’elle enfile sans même réfléchir lorsque le vent se fait frais et qu’elle a décidé de se promener le long de la côte. Le chemisier brodé de mille marguerites s’est retrouvé coincé entre une paire de bottines solides et la brosse à cheveux, malencontreusement échappée de la trousse qui la contenait. Sybil a insisté pour fourrer au milieu de tout cela un dessin souligné de la jolie écriture toute en arabesques de sa Tante Titine : Mommy and Bunny, together forever, clame l’inscription. Au milieu d’une prairie aux couleurs éclatantes - l’herbe est violette, et les fleurs ont la teinte des nuages - deux silhouettes asymétriques, aux cheveux similairement blonds. Les pastels ont laissé leur marque sur la main d’Agnes, comme une promesse : bien sûr, qu’elle sera toujours là pour sa fille.

Et pourtant, la voilà qui s’éloigne. Elle n’ose plus se retourner, de peur qu’un regard à la lumière de sa vie ne l’empêche d’avancer. Chaque pas est presque arraché à la terre qu’elle foule, chaque cahot de la malle une nouvelle invitation à la reposer et à revenir sur ses pas, revenir à sa fille et à la vie qu’elle connaît sur le bout des doigts, plutôt que de se lancer dans cette aventure aux antipodes. Et pourtant, elle continue : un pas après l’autre, puis un autre encore. Elle ne voit pas, derrière elle, Sybil qui agite les bras dans un grand au revoir joyeux, Sybil qui pense que Maman s’en va juste pour quelques heures, quelques jours tout au plus. L’enfant et sa mère ne se quittent pratiquement plus, depuis qu’elles sont seules à occuper la maison dans laquelle Agnes et Sebastian avaient imaginé fonder une famille nombreuse et bruyante.

Et pourtant, voilà qu’elle part sans un regard en arrière. Il faut aller de l’avant, tout le monde le lui a dit et répété sur tous les tons, si bien que même la plus têtue des Trelawney a fini par capter le message. Et c’est donc de l’avant qu’elle va, cap sur l’inconnu. Cap, d’abord et surtout, vers cet homme qui l’attend au bout de la jetée. Le soleil d’août projette dans les cheveux de ce dernier une myriade de reflets qui rappellent le chocolat, se dit-elle soudain. Et elle peut observer à la dérobée ce menton altier, cette silhouette aquiline qu’elle pourrait si facilement croquer, si seulement elle avait à portée de main l’un de ses cahiers à dessins…

Elle n’a pourtant plus tracé le moindre trait depuis des semaines - des mois, en réalité. C’est un autre visage qui hante encore ses pensées, même si la douleur s’estompe doucement. Même si la plaie a cessé de saigner, elle reste encore sensible, et il ne faut pas s’en approcher de trop près, au risque de voir la blonde se refermer comme une huître. Oui, ils et surtout elles ont raison : sa soeur, la seule à laquelle elle parle encore, la douce Agatha ; Lorna, la soeur de coeur à défaut d’être celle de sang ; même Saturnine, la fantasque cousine au tempérament imprévisible, toutes ont insisté sur ce point. Un voyage ne pourra lui faire que du bien. Tu te rempliras la tête de nouveaux paysages, et de nouvelles idées, a dit Aggie. Tu pars en bonne compagnie, a complimenté Lorna - qui, pour une raison mystérieuse, est positivement persuadée que son compagnon de voyage n’est autre que l’auteur d’une certaine missive anonyme. Tu me ramèneras des cadeaux ? Des diamants, il paraît qu’ils en ont plein là-bas, un de plus ou un de moins, ils ne devraient même pas le remarquer… Tu promets ? a quémandé Saturnine - ce à quoi Agnes a répondu en promettant qu’elle essaierait, mais ne volerait rien à qui que ce soit.

Et voilà que le moment est venu. Même si elle se retournait, elle n’apercevrait plus sa fille chérie, noyée dans le flot des passagers pressés de quitter le pays pour des cieux plus cléments. Il ne sert à rien de regarder en arrière, d’autant plus que c’est un autre regard qui a croisé le sien. Et le sourire qui s’ensuit semble si chaleureux que le soleil en luit moins fort.

« Orion ! » s’exclame la blonde, qui à force de pratique a enfin cessé de conférer son titre professoral à son compagnon d’aventure. Elle relève les lunettes de soleil que sa cousine a insisté pour lui prêter, argumentant que c'est la dernière mode sur le continent américain (Agnes a eu beau lui expliquer que ce n’était pas du tout la direction que son voyage prendrait, Ninine est restée inflexible).  « Je, hum… Je suis en retard ? » Dans sa robe à rayures, avec cette valise qui lui rebat le flanc, la jeune femme est à mi-chemin entre matelot d’eau douce et touriste en galère.

« J’espère que je n’ai rien oublié, mais vous… Vous voyagez toujours aussi léger ? » s’étonne-t-elle ensuite, les joues rougies par l’effort et les cheveux longs légèrement emmêlés par le vent salé.

« Je vous suis : jusqu’à l’infini, et au-delà, n’est-ce pas ? » plaisante enfin la blonde, pour qui l’Inde pourrait tout aussi bien être sur une autre planète, tant l’inconnu lui paraît encore lointain. Tout ceci n’est pas sérieux, souffle une petite voix, qui ressemble furieusement à celle de l’aînée des Trelawney. Les vacances, ce n’est pas fait pour être sérieux, s’impatiente une autre voix, celle-là plus douce et pourtant plus assurée - un parfum de tarte à la poire et de blouson en cuir s’attarde dans le coeur de la blonde, qui l’en chasse d’un lumineux sourire.

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