temporalité du rp : mai, 1955
personnages concernés : libre pour l'instant.
trigger warnings : mention d'infidélité masculine.
intervention autorisée du mj : [ ] oui [X] non
autre(s) : roulette russe rp → 12. assister à un opéra ou ballet

IN FOR THE KILL - 2021-2022

Jour de congé, jour de repos. Et alors que tu sors d’une impromptue, mais rapide sieste, tu te remémores la raison pour laquelle tu te trouves dans cet endroit. La journée précédente et celle actuelle t’a été éprouvante, épuisante et tu avais bien besoin de repos. Tu jettes un coup sur ta droite tandis que tu sens une personne gigotée sur ton côté. Ah oui, tu t’en souviens. Tu as été invité par l’un de tes amis pour profiter gratuitement d’une pièce d’Opéra dans le Londres sorcier après avoir profité d’un restaurant. Opéra rivalisant avec le Royal Opera House selon les dires de certains patients sang-mêlés, mais tu renifles à chaque fois que tu entends cette comparaison. Le British Magical Conservatory a été fondé par tes ancêtres, il y a de cela deux siècles et tu n’es pas peu fier de ce bâtiment grandiose. Non. Aucun opéra moldu ne peut rivaliser avec celui-ci. Pourquoi pas. tu l’ignores. Tu n’as jamais vu, te concernant, l’intérêt de te mêler à cette foule compacte, belliqueuse, assassine. Depuis le début de ce violent conflit, tu ne les vois plus que d’un mauvais œil ; bien plus encore depuis l’agression sur ta douce Jezabel.
Ton esprit retourne à ton comparse sur ta droite qui se trémousse encore. Tu poses une discrète et rapide caresse sur son genou pour l’encourager à s’apaiser où à souffler à ton oreille ce qui le rend ainsi. Tout dans vos gestes se doivent d’être mesuré. Certes, vous êtes de vieux amis d’enfance, mais les racontards peuvent aller bon train et il n’en faut que très peu pour qu’une simple rumeur détruise une réputation et une vie. Si cela t’est possible, tu souhaiterais l’éviter.

— Vois-tu la charmante femme qui se trouve à deux sièges devant nous, sur notre gauche ? C’est elle.

C’est elle.

C’est elle, l’amante secrète de ton ami qui ne regarde plus l’intéressant et pourtant envoûtant opéra qui se déroule devant vous, la jeune lady. Bien coiffée, bien apprêtée. Elle est harmonieuse avec son visage et son doux sourire. L’ondulation savante de sa chevelure blonde est aguicheuse. Oui. Il comprend pourquoi son ami de longue date s’est refusé les lois étranges de la fidélité. Pour autant, tu lui glisses à l’oreille ne pas trop la contempler s’il ne souhaite pas que son épouse à son côté la remarque et comprenne. Main de fer dans un gant de velours. Il tient l’argent quand elle tient l’influence. Rapport de force entre deux êtres qui s’affrontent et s’embrassent. Leur joute verbale est toujours un délice pour tes ouailles.
Tu soupires doucement et regardes à ta gauche. Ton épouse est là, savoure l’opéra et tu es heureux de la savoir satisfaite. D’autant plus que vous n’avez pas eu à sortir le moindre gallions si ce ne fut pour des rafraîchissements lors de l’entracte. Les places ont été gagnées par ton ami, parieur invétéré. Il a rapporté, grâce à Dame Fortune, quatre places pour le célèbre opéra de Louis Lully. Le spectacle se jouait à chaque fois à guichet fermé et il fallait réserver des mois à l’avance pour espérer obtenir un bon emplacement.

L’histoire est classique, mais elle fait toujours son effet. Deux amants que tout séparent, mais qui sont prêts à tout – même à mourir – pour rester et s’aimer ensemble. Le méchant de l’histoire, autrefois un loup-garou, a été modifié pour correspondre aux problèmes actuels. L’antagoniste est maintenant un groupe de chasseurs moldus.
Personnellement, tu aurais trouvé plus pertinent de garder le lycanthrope. En tant que psychomage, tu n’apprécies guère le risque de réveiller les récents traumatismes causés par ce groupuscule meurtrier. Heureusement, tu n’entends pas de murmures craintifs et les visages que tu peux détailler – c’est-à-dire très peu – semblent sereins, aspirés par le talent de ces comédiens. Tant mieux.

Derrière toi, tu entends un ronflement et tu devines avec amusement que l’individu, bien installé et préalablement bien sustenté, s’est endormi. Peut-on lui en tenir rigueur ? Le spectacle dure au bas mot trois heures et minuit approche. Heureusement que ton premier rendez-vous n’est qu’en fin de matinée, il te sera alors permis de grappiller un peu plus de repos derrière ton bureau.

Mais pour l’heure, tu savoures. Tu es entre amis.
Peut-on vraiment passé meilleure soirée ?

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Amara Shacklebolt ne se rendait pas souvent à l’opéra. C’était une marotte de son époux Thaddeus, toutefois, aussi n’échappait-elle pas à ce rendez-vous irrégulier qu’ils se donnaient de temps à autre. C’était pour le couple une occasion de sortir en bonne société, de voir et d’être vu : une affaire de mondanités, davantage que de passion pour l’art et ses beautés. Ce soir, cependant, le rendez-vous ne se voulait pas galant. Thaddeus avait besoin de se perdre dans l’art jusqu’à s’oublier - jusqu’à oublier les terribles images qui pourtant ne le quitteraient jamais. Amara n’avait pas elle-même assisté à l’événement. Elle n’avait jamais compris l’attrait des Britanniques pour les kermesses et les fêtes de village, et s’était rapidement trouvé une excuse : elle devait impérativement relire une proposition d’investissement, émise par un mécène généreux mais déjanté, dont les exigences réduisaient à l’incompréhension le personnel comptable de l’hôpital qu’elle dirigeait. Aussi la dame n’avait-elle pas vu de ses propres yeux les flammes engloutir leur victime. Elle n’avait entendu que les comptes-rendus de ses enfants, son aîné secoué, son cadet carrément hanté. Ils avaient fui le plus rapidement possible, protégeant leurs propres enfants. Thaddeus, lui, était resté. En tant qu’Auror, il avait contribué à évacuer les autres sorciers présents sur place, à lister les éventuels disparus avant de replonger dans la foule en panique pour les retrouver.

Depuis lors, son regard s’était voilé. Malgré tous ses efforts, malgré la complicité construite au fil de leurs nombreuses années de mariage, Amara n’avait pas réussi à lever tout à fait le voile. Aussi avait-elle décidé de lui proposer cette sortie : peut-être l’environnement familier saurait-il apaiser les invisibles tourments de son cher et tendre, c’était du moins ce qu’elle avait raisonné. Les billets s’arrachaient à prix d’or, et les meilleures places étaient parties bien des mois auparavant. Mais la Shacklebolt avait des relations, et elle ne dédaignait pas de jouer de son rang pour obtenir le précieux sésame : elle avait ainsi sollicité une amie dont le mari faisait partie des administrateurs du British Magical Conservatory, et reçu le matin même deux places au premier balcon. De son poste d’observation, la dame passait le temps en détaillant le spectacle qu’offraient les rangs tapissés d’or et de velours, plutôt que celui qui se jouait sur scène. Thaddeus, lui, contemplait les chanteurs qui se succédaient, hurlant amour puis haine dans des trémolos que seuls les aficionados comprenaient.

Le second acte souleva cependant son intérêt : un groupe de chasseurs venait d’entrer sur scène, leurs costumes évoquant le grotesque accoutrement de ceux qui avaient autrefois cherché à “purifier” son propre pays. Ces fameux puritains, ce faisant, avaient donné à Salem son statut de capitale sorcière : comme si, par cet esprit de défiance si typiquement américain, les sorciers avaient dressé un historique pied de nez à leurs persécuteurs. De quel côté se rangerait-elle, la noble dame ? D’instinct, elle aurait eu envie d’ériger des ponts entre les communautés. Elle connaissait mal les Moldus, mais elle connaissait les hommes, et avait longtemps été persuadée que leur instinct était de s’entraider. Depuis quelques jours, toutefois, elle n’en était plus si certaine. Et si l’instinct primaire était celui du prédateur, celui de la destruction avant tout ? Dans ce cas, elle devrait faire un autre choix : celui qui lui permettrait de protéger ses proches. Celui qui mettrait à l’abri son mari, héros épuisé qui s’était tranquillement endormi - au point de ronfler légèrement, alors que l’aria final enflait dans l’auditoire. Elle aurait pu le réveiller, mais choisit de le laisser se reposer. Son sommeil, ces dernières nuits, n’avait été que trop troublé.

Les applaudissements saluant la fin de la performance suffirent à sortir Thaddeus de sa torpeur. « Je vais nous chercher des boissons, ne bouge pas » souffla la dame à son époux encore ensommeillé. « Je t’aime » glissa-t-elle en coulant un doux baiser sur sa joue. Elle lui disait ces mots plus fréquemment, à présent que le danger menaçait de tous les côtés. Comme pour s’excuser par avance de ce choix, qui pouvait sembler contraire aux idéaux de leur dynastie. Comme pour expier une faute qu’elle n’avait pas encore commise.

« Docteur Rosier ? » interpella-t-elle en se levant, surprise de reconnaître la silhouette qui, tout comme elle, se dirigeait vers les escaliers. « Je ne vous savais pas amateur d’opéra… Mais bien sûr, votre famille a construit cet endroit » se reprit-elle. Elle avait beau être arrivée au Royaume-Uni plusieurs décennies plus tôt, il lui semblait parfois que c’était hier. Et si son accent s’était nettement acclimaté, les noms des grandes familles d’ici lui étaient parfois plus étrangers que ceux de son continent natal. « Venez-vous souvent ? »

« Mais excusez-moi, je ne voulais point troubler votre soirée en si douce compagnie. Madame » salua-t-elle, inclinant le menton en direction de la jeune épouse du psychomage. « Me permettrez-vous d’emprunter votre époux, le temps d’une conversation ? Je promets de vous le rendre - et même de ne pas parler boutique pendant que nous nous dégourdissons les jambes ! »

Son ton était plaisant, mais quelque chose d’indéfinissable dans l’aura d’Amara Shacklebolt faisait qu’on ne lui résistait pas aisément. Elle était curieuse de pouvoir enfin discuter informellement avec cet homme dont elle entendait tant de bien au quotidien…

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Maintenant que tu vois ces parodies de chasseur sur scène, ton esprit se remplit de pensée moins sereine, moins tranquille. Voilà la seconde difficulté du héros présent sur scène, et sûrement la plus importante. Le kidnapping de la jolie blonde – représentante caricaturale de la sorcière sang-pur – par ces méchants de l’ombre sorti au grand jour alors que les deux familles ennemies et de l’amoureux transi ne se doutaient de rien. La musique cesse dans un tonnerre de cuivre, de corde et d’applaudissement. Sans doute une heure s’est déjà écoulée et beaucoup de personnes se lèvent dans le but de se dégourdir les jambes et se sustenter. Un moment pesant pour les employés de l’opéra où va falloir remplir les panses de boissons et de nourritures. Et vous êtes nombreux ce soir. Ton ami se lève après avoir demandé à son épouse si elle souhaitait quelque chose. Une coupe de champagne et sans doute quelques petits fours. Ton ami dissimule très vite son agacement, mais tu tapotes son épaule. Il faut dire que les restaurants haut de gamme ont la fâcheuse tendance d’être très esthétique, mais très peu nourrissants. Et sa belle a bien des difficultés à se nourrir depuis avoir été témoin du bûcher funeste à Godric’s Hollow. Ton ami ne sait pas gérer cela. Il ignore comment faire. Démuni, il s’est tourné vers une maîtresse. Tu ne peux qu’espérer que cela ne durera pas et qui saura se montrer présent pour sa douce.
De la même manière que tu essaies de l’être pour la tienne. Jezabel est forte. Très forte. Et bien qu’elle ne t’en parle pas, tu n’ignores pas ses insomnies et son refus total et obstiné de s’approcher de la zone moldu du village. Tu la comprends. Toi-même, tu n’oses t’y approcher. Tu n’es pas un homme de combat. Tu ne l’as jamais été. Porter des messages, accueillir des sorciers dans le besoin. Tu n’es pas sûr de pouvoir en faire de même pour les moldus. Il n’est pas encore évident, pour toi, de les dissocier des chasseurs.

Tu poses une main douce sur l’épaule de ton épouse. Souhaite-t-elle quelque chose ? Une boisson rafraîchissante, mais non alcoolisée. Tu opines du chef, presque certain de pouvoir accomplir ta mission. Ton ami part devant tandis que tu te redresses, pas mécontent de pouvoir marcher un peu. Tu ne lui en veux pas. Beaucoup pensent que le stock s’écoulera trop vite. Tu grimaces, tu ne l'espéres pas. Ce serait, à ton avis, une bien piètre façon de convenablement s’occuper de l’Opéra créé par tes ancêtres. Fort heureusement, les spectateurs ont la bienséance de ne pas se bousculer dans les escaliers.

— Docteur Rosier ?

Tu tournes la tête, ta surprise affichée sur ton visage. Tu ne t’attendais certainement pas à être reconnu ce soir. Et pas par la directrice de Ste-Mangouste. Ta patronne, en somme. À ton bras, ta douce s’immobilise aussi.

— Je ne vous savais amateur d’opéra… Mais bien sûr, votre famille a construit cet endroit.
— Madame Shacklebolt, salut-tu en te reprenant. Il semblerait que nous venons de découvrir l’un l’autre un point commun.

Même si, en réalité, tu es venu sous l’invitation de ton ami et que tu pensais que cette sortie plairait à ton épouse.

Tu as opiné du chef au rappel que ce bâtiment est une construction signée Rosier. Peut-être en devrais-tu en bomber le torse de fierté, mais tu n’estimes pas avoir besoin de cette reconnaissance. Pas lorsqu’elle ne vient pas personnellement de toi.

— Venez-vous souvent ?
— Hélas, non. Pas aussi souvent que nous le souhaiterions, commences-tu.
— Mais excusez-moi, je ne voulais point troubler votre soirée en si douce compagnie. Madame. Me permettrez-vous d’emprunter votre époux, le temps d’une conversation ? Je promets de vous le rendre – et même de ne pas parler boutique pendant que nous nous dégourdissons les jambes !

C’est peut-être cela, te remémores-tu, ce qui t’a toujours bloqué chez ta supérieure. Cette façon courtoise de donner des ordres, sans que cela sonne comme un ordre. Ce regard de glace qui ne souffre d’aucun refus, même si tu pourrais prétendre que, n’étant pas en service, tu ne verrais guère l’obligation de consentir à sa demande. Mais elle est ta supérieure et une femme très influente. Alors, tu te tournes vers Jezabel, pose ta main contrite sur la sienne et lui promet de revenir à une boisson correspondant à ses attentes. L’absence d’amour entre vous deux ne t’a jamais empêchée de vouloir prendre soin d’elle. Ta douce fleur s’en retourne à son siège et te voilà seul avec cette femme qui sait gérer l’hôpital si bien, surtout en ces temps troublés.

— Puis-je vous proposer mon bras jusqu’à la buvette, madame ? proposes-tu poliment. Du moins, si cela ne contrarie point votre époux.

Tu gages qu’elle n’est pas venue seule.
L’on vient rarement seul en ce genre de mondanité.

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L’intermission était plus que bienvenue. Le sous-texte proposé par la mise en scène de l’opéra était limpide, et Amara n’était pas sûre de l’apprécier. Elle aurait voulu que cette soirée permette à son époux de penser à autre chose qu’aux tourments de leur communauté. Thaddeus en avait vu d’autres, bien sûr : on n’exerçait pas le métier d’Auror pendant plus de trente ans sans passer par l’une ou l’autre situation susceptible de laisser des marques sur la psyché. La dame demeurait cependant soucieuse, persuadée que la dernière crise en date était différente des précédentes. Pour commencer, la rupture du Secret Magique était un événement inédit depuis sa création à la fin du dix-septième siècle. Et certes, les sorciers vivaient plus longtemps que les Moldus… Mais ni Thaddeus ni sa femme n’avaient bénéficié d’une longévité suffisamment exceptionnelle pour avoir déjà connu un monde dans lequel sorciers et No-Majs cohabitaient au quotidien. Comme tous les mages de leur génération, ils avaient grandi séparés des moldus et persuadés par une insistante propagande de l’importance du secret, censé préserver leurs familles.

Autant de certitudes qui avaient volé en éclats lorsque les No-Majs avaient rallumé les bûchers. Et si même l’art n’offrait plus de refuge, comment pouvait-elle encore s’évader ? Comment prétendre soutenir son époux au travers des tourments, si même l’un de leurs passe-temps favoris leur échappait ? Elle devrait trouver de nouveaux stratagèmes. Comme le disait parfois son père : aux grands maux, les grands remèdes. La médicomage en elle rechignait à appliquer ce dicton, aucunement ignorante des dangers que certains remèdes pouvaient causer. Elle estimait disposer d’une connaissance suffisante des plantes et potions pour éviter tout surdosage ou effet secondaire indésirable, mais cela ne l’empêchait pas de mépriser cette manière de soulager les tracas de l’esprit. Non, elle ne voulait pas recourir à l’alchimie pour apaiser les angoisses de sa famille. Quel choix lui restait-il alors ?

Il y avait bien ce groupuscule clandestin. Ils s’étaient réclamés de l’attentat ayant coûté la vie à la petite Churchill, certes… Mais ils affirmaient également qu’ils ne souhaitaient que protéger leur communauté. Et, si Amara était parfaitement honnête avec elle-même, elle ne pouvait plus nier que leurs propos trouvaient en elle un écho troublant. L’apparition des chasseurs sur scène, ce soir encore, avait soulevé son cœur de lionne, de protectrice en besoin d’un bouclier à porter.

Heureusement pour elle - et pour les accoudoirs de son siège, que ses ongles acérés menaçaient de réduire en charpie si elle ne se contrôlait pas - l’entracte avait sonné. Toujours prompte à allier utile et agréable, elle s’empressa de saluer le chef de service qu’elle n’avait pas encore eu l’occasion de rencontrer hors de quelques réunions fort peu propices à des échanges informels.

« C’est mon époux, qui est un véritable passionné. Je ne fais que l’accompagner… Et me charger du ravitaillement » offrit-elle en réponse, d’un ton plaisant. Habituée à l’interprétation des dynamiques interpersonnelles - on ne devenait pas directrice d’une institution comme Saint Mungo’s simplement parce qu’on avait réussi ses études de médicomagie - elle décela rapidement le malaise que sa proposition avait suscité. Elle le regretta aussitôt, s’excusant toutefois seulement une fois que le mal fut fait. Mrs Rosier avait regagné son siège, et Amara avait obtenu ce qu’elle souhaitait. Une petite excuse ne lui coûtait donc rien, et cette dernière coula de sa bouche élégante avec simplicité. « Je suis désolée de vous priver de cet instant avec votre compagne. Je vous promets de ne pas vous retenir longtemps, mais nous avons si peu eu l’occasion de discuter ces derniers temps ! »

« Vous êtes fort aimable » répondit-elle encore, acceptant le bras tendu. « Thaddeus n’y verra aucun désagrément, bien au contraire : il préfère rester dans son siège et méditer sur ce que nous venons de voir… Le sujet était fort prenant, ne trouvez-vous pas ? Et avoir choisi d’inclure ainsi des chasseurs, dans le rôle des antagonistes… »

Elle laissa volontairement certaines de ses phrases en suspens, espérant provoquer chez le blond Britannique une première réaction. Le docteur Rosier était parfois si flegmatique que malgré tous ses efforts, Amara ne parvenait pas à déterminer ce qu’il pensait tant qu’il ne l’avait pas lui-même affirmé. Elle aurait aimé apprendre à le connaître davantage, comme elle connaissait déjà certains de ses collègues chefs de services, sur lesquels elle savait pouvoir compter lorsqu’elle devait leur transmettre de dures nouvelles. Mais Célias Rosier, sans jamais se montrer ouvertement évasif, résistait encore et toujours à ses tentatives de mieux le cerner.

« Dites-moi, Célias - je peux vous appeler par votre prénom ? À part l’opéra, quels passe-temps occupent vos instants de liberté ? Visitez-vous des musées, ou des galeries d’exposition ? Ou bien êtes-vous davantage un passionné de musique ? »

Discussion certes banale. Il fallait toutefois bien commencer quelque part, et puisqu’ils se croisaient à l’opéra, autant parler d’art.

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— C’est mon époux, qui est un véritable passionné. Je ne fais que l’accompagner… Et me charger du ravitaillement.

Tu opines du chef et comprends. Toi-même, tu ne rends guère dans l’Opéra de ta famille si tu n’as pas reçu une invitation où si ton épouse ne t’a pas demandé de réserver des places pour une pièce qu’elle est curieuse de découvrir. Plus rare encore, il est vrai que tu peux prendre l’initiative, mais seulement pour faire plaisir. Tu n’as pourtant rien contre un moment de détente, mais tu as du mal à lier convenablement « paraître » et « détente » dans la même phrase et dans le même raisonnement. Pour toi, le véritable lâcher-prise, c’est lorsque tu peux profiter d’une nuit sans lune, lorsque l’insomnie s’impose, à prendre ton envol. Lorsque tu sens le vent dans tes ailes et tes poils et que tu ne t’étonnes plus de manger un moucheron au passage. Tu peux profiter de ces heures de liberté. Parfois, tu te surprends à voir ta maison comme une cage.

— Je suis désolée de vous priver de cet instant avec votre compagne. Je vous promets de ne pas vous retenir longtemps, mais nous avons si peu eu l’occasion de discuter ces derniers temps !
— Ne vous excusez pas. Mon épouse comprend tout à fait. Et il est vrai que, dernièrement, le travail n’a guère permis aux membres hospitaliers de discuter comme il se doit.

Son bras s’enroule autour du tien, sa main se pose et vous reprenez votre chemin vers les nombreux lieux de restaurations. Ta main libre pend de l’autre côté. La mettre dans ta poche t’aurait fait passé pour quelqu’un d’un peu trop à l’aise et tu ne souhaites pas voir ce genre de mauvaise image se coller sur ton dos.

— Vous êtes fort aimable. Thaddeus n’y verra aucun désagrément, bien au contraire : il préfère rester dans son siège et méditer sur ce que nous venons de voir… Le sujet était fort prenant, ne trouvez-vous pas ? Et avoir choisi d’inclure ainsi des chasseurs, dans le rôle des antagonistes…

Tu dissimules une grimace. Prenant ? Tu ne le sais point. Maladroit. Sans nul doute.

— Je comprends le besoin de cette méditation quant à l’apparition de ces chasseurs. J’ai constaté que ce changement dans la pièce a bel et bien happé l’attention du public, mais le psychomage en moi ne peut s’empêcher de trouver fort maladroit de s’accaparer les récents événements pour gagner en popularité. Certains d'entre nous ne se remettent pas encore de ce qu’ils ont dû voir ou subir.

Ce spectacle perd en légèreté pour devenir politisé et tu détestes cela. Ce n’est pas pour effectuer cette triste constatation que tu as accepté de venir. C'est vulgaire.

— Cependant, reprends-tu, je puis comprendre le besoin de renouveau pour capter et maintenir l’attention du public toujours plus exigeant. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Après tout, même si tu as du mal à te sentir en confiance en sa présence, tu estimes que sa réponse sera, sans nul doute, très intéressante.

— Dites-moi, Célias – je peux vous appeler par votre prénom ?

Tu opines du chef.

— À part l’opéra, quels passe-temps occupent vos instants de liberté ? Visitez-vous des musées, ou des galeries d’exposition ? Ou bien êtes-vous davantage un passionné de musique ?
— Malheureusement, je me dois d’avouer que je suis une personne très ennuyeuse. Si je n’avais pas ma très épouse, l’on pourrait dire de moi que je suis marié à mon travail. Bien que je doive l’avouer, je me plais à écouter de la musique à longueur de journée. Je regrette parfois de n’avoir jamais l’occasion d’apprendre dans ma jeunesse.

En réalité, tu t’essayes secrètement à l’art floral dans un recoin discret de ton jardin, mais tu ne souhaites pas l’avouer pour le moment. Parce que tu n’es pas très doué. Parce que tu apprends encore. Et parce que tu n’as pas envie de te rendre ridicule si quelqu’un l’apprend et souhaite juger ton… « talent ». De même, tu ne peux pas parler de tes instants de liberté lorsque ton corps d’humain est remplacé par celui d’une chauve-souris de Malaisie.

— Mais vous, madame Shackelbolt. Vous me répondiez que vous ne faisiez qu’accompagner votre époux dans cet Opéra. Mais qu’aimez-vous visiter, en réalité ?

Discussion somme toute banale, en effet. Mais ton métier t’a souvent révélé que le parler peu pouvait être très révélateur. Dis-moi ce que tu verbalises et ce que tu tais et je te dirais ce que tu es qui tu es.

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Le couple était assez mal assorti, tant la prestance de ses deux composantes dégoulinait sans qu’ils aient à dire le moindre mot. Étrange privilège, que celui de la stature, musa brièvement Amara. Certains sorciers bien nés en manquaient cruellement, et d’autres, pourtant venus de familles moins proéminentes, emplissaient une salle par leur simple présence. Ils n’en étaient certes pas à ce stade, ni le docteur Rosier ni même elle, et pourtant on s’écartait sur leur chemin avec respect.

« Le travail, encore et toujours… Je crains que vous n’ayez raison, docteur » glissa-t-elle sans cacher tout à fait la note de dépit qui marquait sa voix ces derniers temps - et d’autant plus lorsque le personnel de l’hôpital lui donnait du madame plutôt que du docteur. Elle avait, elle aussi, réussi ses études de médicomagie, mais cela semblait oublié depuis qu’elle avait accédé au fauteuil de la direction de St Mungo’s. « Ma carrière est plutôt longue, et pourtant, je ne me souviens pas d’une autre période aussi tendue que celle-ci. Il me revient d’ailleurs que votre service est particulièrement submergé… Je sais que j’ai promis de ne pas vous ennuyer avec cela, mais… Vous savez que vous pouvez toujours venir me voir ? S’il est en mon pouvoir de faire quoi que ce soit pour vous aider, soyez assuré que je le ferai. »

Bien malin qui aurait su déceler la part de sincérité dans les hésitations et les questions rhétoriques de la sorcière. Amara se plaignait régulièrement d’être devenue davantage politicienne que médecin, et pourtant il était impossible de nier que ce premier costume semblait tout autant taillé sur mesure pour elle que le second. En tant que critique d’art, toutefois, elle se sentait fort peu adéquate, aussi répondit-elle à l’opinion exprimée par son collègue avec une modération non dissimulée. Elle pesait ses mots, sentant que le sujet était sensible - et pour qui donc ne l’était-il pas ?

« Je suis loin d’être une experte en la matière, mais… N’est-ce pas le devoir de l’art que d’être un reflet de la société qui le produit ? Je ne saurais pas déterminer dans quelle mesure les changements ont été effectués par appât du gain. Je préfère pour ma part n’y voir qu’une expression de la frayeur de nos concitoyens, un témoignage de leurs inquiétudes. Un témoignage qu’il serait sans doute bon d’écouter, si l’on souhaite qu’il reste confiné à la scène et ne prenne pas des apparences autrement plus… réalistes. »

N’en avait-elle pas trop dit ? Une innocente question comme celle-ci suffisait à soulever en elle une nasse d’émotions entremêlées, écheveau qu’elle avait bien des peines à démêler. Elle avait vu sur scène ses propres peurs reflétées, mises en paroles et en musique, et cela avait touché une part d’elle dont la sorcière ne pouvait plus nier l’existence. Une part plus sombre peut-être que toutes les facettes qu’elle avait jusqu’alors montrées : tout animal effrayé pouvait devenir dangereux, après tout.

« Voyons, appelez-moi Amara - et cela vaut aussi pour les heures de travail, mon cher Célias. Cela fait désormais assez longtemps que nous collaborons pour dispenser de ces formalités auxquelles vous, les Britanniques, semblez tant attachés. » Une plaisanterie, pour l’Américaine, mais aussi une invitation à un rapprochement. Rien qui ne puisse être mal construit, bien sûr : elle en avait tout simplement assez que ses collègues d’outre-Atlantique prétextent des convenances pour la garder à distance. Elle voulait les connaître, les comprendre, pour mieux les défendre lors des interminables réunions liées à l’avenir financier de l’institution qu’elle pilotait. « Je vous recommande la musique de mes compatriotes, dans ce cas. J’ai moi-même une oreille assez peu musicale, mais j’apprécie énormément le jazz et ses libertés… Surtout pour me détendre, après une réunion à l’agenda chargé. »

« En ce qui concerne les visites, je crains que nous ne souffrions du même syndrome. Je n’ai que très peu de temps pour moi, aussi mes excursions sont-elles limitées au strict nécessaire. Ces derniers temps, j’ai surtout visité les salles de réunion de Gringott’s et du Ministère » sourit-elle, alors que le bar se profilait devant eux. « Un whisky, quinze ans d’âge minimum, et un verre de sherry pour moi… Et pour vous, Célias ? Quel est votre poison ? »

Une fois les commandes réceptionnées, la dame prit un instant pour en humer les arômes. « Je dois le reconnaître, en ce qui concerne les spiritueux… Vous savez y faire, sur le Vieux Continent. Dites-moi » ajouta-t-elle après un moment de réflexion, « si vous aviez écrit cette pièce que nous nous apprêtons à retrouver… Qui auriez-vous casté dans le rôle des antagonistes ? »

Cette fois, la question n’avait plus rien d’innocent. Mais le sourire dansait toujours sur ses lèvres pleines, et il aurait fallu être fin connaisseur de la dame Shacklebolt pour comprendre qu’elle analyserait la réponse donnée en grands détails.

« Et de quels personnages auriez-vous fait des héros ? »

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