Passant par l’entrée habituellement réservée aux hiboux et chouettes, un être de petite taille s’en vient en valdinguant tout ce qui se dresse sur son chemin, semant pagaille et désolation dans le bureau parfaitement en ordre. À bien y regarder, il semble que la créature, d’une trentaine de centimètres avec les cheveux dressés en l’air, soit un croisement entre un gnome et un cupidon, et si l’on observe bien… il s’agit d’une femelle. Il faut évidemment bien se pencher sur la question et avoir l’œil bien avisé, mais la petite robe rose pailletée, légèrement abîmée et d’une propreté douteuse peut en témoigner. Dans ses petites mains potelées, une lettre, pliée en plusieurs fois pour permettre à la petite créature de la transporter sans encombre. Doit-on y voir une tentative pour remplacer les volatiles qui sont bien trop bruyants et laissent des fientes partout ? Une fois arrivée à hauteur de la Ministre de la Magie, la petite chose ne manque pas de s’éclaircir la gorge, avant de taper la main qui voudrait prendre la missive, «  Pas touche l’autruche ! C’est MOI qui lis le message !  » d’une voix criarde, terriblement désagréable.

Chère madame la ministre,

Est-ce bien une robe signée Henry Tourdemain que vous portez en ce jour ? Et ce sac à main ? Le dernier Lucius Fourtout ? De si beaux atours que je pourrai en hurler de jalousie ! Votre style comme toujours, détonne par rapport à celui de nous autres, pauvres hères qui ne sommes que des ombres dans votre sillage. Il me tarde chaque jour de découvrir votre garde-robe !

Message achevé, la gnomette ne tarde pas à laisser tomber la missive sur le bureau, avant de regarder de haut en bas sa destinataire. « Mouais, si vous voulez mon avis, c’est affreusement moche ce que vous portez. Au r’voir ! »

La créature boiteuse traîne ses courtes guiboles dans les corridors du Ministère. Si les gnomes ne sont guère connus pour leur apparence flatteuse, loin de là, celui-ci est particulièrement repoussant - deux petits yeux globuleux et asymétriques perdus sur une trogne bien trop large, un teint grisâtre à la limite du vert, parsemé de croûtes et furoncles de toutes tailles et tous coloris, et de ses oreilles rapiécées jaillissent d'immenses touffes de poils hirsutes et crasseux. Sur son passage, les prunelles se détournent et les truffes se froncent : c'est qu'il émane de sa petite carcasse une puanteur à vomir, relents nauséabonds qu'il sème derrière lui, eau de parfum senteur rat d'égout, note de tête oeuf pourri sur une note de coeur dépotoir. Arrivé à hauteur du bureau de Madame la Ministre, s'y engouffre sans s'annoncer, et dans sa tunique répugnante qu'il trifouille extirpe un troche-cul froissé en reniflant grassement.

Chère Madame, il commence de sa voix molle et trainante, renifle une nouvelle fois.
Chère Madame,

Je porte à votre attention cette plainte, détresse émanant des tréfonds de mon âme.
Vous qui êtes une grande dame dotée, je n'en doute point, d'une intelligence somme toute conforme à la moyenne, vous me voyez frappée de surprise lorsque chaque jour j'aperçois votre silhouette bien pressée. Vous n'êtes pas sans savoir que les atours dont vous vous drapez sont un outrage à la mode, que dis-je : un véritable fashion faux-pas. N'avez-vous pas eu vent des dernières tendances ? Les fourrures de Flerreur, en plus de constituer un acte d'une cruauté sans égale envers cet animal, sont dépassées, c'est so 1954 - sans parler des chapeaux ornés de plumes de Dirico, c'est d'un mauvais goût... M'est avis que votre nouvelle assistance (ou qu'importe sa fonction) n'a pas le talent nécessaire à vous faire paraître sous votre meilleur jour. Vous le savez mieux que quiconque, la prestance d'une dame d'affaire réside dans sa façon de se vêtir, de faire détourner les mirettes sur votre passage - et pour l'heure, la seule chose que vous parvenez à détourner ainsi fagotée, c'est le chemin normalement emprunté par mon déjeuner, si vous voyez ce que je veux dire...

Bien à vous.
Quelqu'un qui pense à votre image.

Il parait s'être écoulé une éternité depuis qu'il a ouvert la bouche le gnome, tant son débit de parole est lent. Sans doute la Ministre s'est-elle endormie sur son assise avant la fin de la première phrase. Son intervention terminée, il lui envoi un sourire édenté, fait volte face et se traîne hors du bureau.

Un bruit sourd se fait soudainement entendre par l’entrée usitée d’ordinaire par les messagers du Ministère. Quelques secondes suffisent à laisser apparaître une créature de petite taille. Sa peau terne aux notes bleutés laisse deviner ça et là des pustules, à moins qu’il s’agisse de couches successives de crasse mal récurées. Uniquement vêtu d’un pagne ne tenant que par le bon vouloir de Merlin, il s’avance, ses grands yeux orageux luisant de façon inquiétante. Pas une seule expression ne vient déformer les traits du gnome dont on pourrait douter de s’il est doté de vie si ses pas ne l’avaient pas conduits jusqu’au bureau de la Ministre. Logé contre sa hanche droite, il extirpe le parchemin du bout des griffes, le déroulant dans une lenteur s’apparentant à de la provocation avant de se racler la gorge. Les notes rauques de son timbre envahissent alors le cabinet tandis qu’il s’exclame avec lassitude.

« Chère Madame la Ministre, »

La créature s’interrompt, dévisage celle qui se trouve en face de lui, un profond soupir d’exaspération lui échappant finalement de l’avaloir avant de reprendre avec monotonie. Sa voix rocailleuse délivrant le message sans que transparaisse la moindre émotion, la moindre forme de ponctuation ou de vie.

« A votre apparition dans le récent article de la Gazette du sorcier, je n’ai pu ignorer plus longtemps l’évidence .
Votre robe. Votre coiffure. Votre maquillage.

Quelle prestance !

Cette nouvelle toilette vous sied à ravir. Vous resplendissez, sublimez le poste qui était fait pour vous.
Un véritable exemple d’élégance et de bon goût afin d’inspirer nos concitoyens.

C’est bon ?….
J’en suis où ?….
Je vois.
Vraiment ?….
Combien ?…….
Ah !
Euhhhhhh….
….
…….
………..
Oh !

Bien que votre style avait toujours été impeccable, Madame la Ministre, cette nouvelle image fait de vous un véritable modèle.

Votre cher et bien… »

Le gnome s’interrompt. Le silence envahit le bureau alors qu’il redresse lentement ses grands yeux globuleux dénués d’étincelles, les griffes enroulant le parchemin avant de reprendre avec monotonie.

« Fin de votre message. »

Une fois de plus la quiétude s’abat dans l’antre ministérielle, la créature pas plus haute que quinze pommes toisant la ministre sans qu’un souffle ne chahute sa carcasse avant de finalement bruyamment expirer face à l’absence de pourboire. Il se décide enfin à quitter les lieux dans un flot continu de grommellements.

Aldeberte de son nom est connue pour ses entrées élégantes et raffinées. Bien malheureusement, Aldeberte, victime d’un rhume carabiné, a dû confier ce travail à son cousin John-John, gnome au visage et corps ronds, vêtu d’un bonnet rouge, de lunettes de soleil et d’un vêtement indéfinissable mais très adapté à la saison estivale. Il se trouve que John-John a sa propre conception du raffinement. Le voilà donc qui déverse une volée de paillettes à travers la pièce à peine la porte passée avant de lire le message d’une voix de crécelle à faire vriller les tympans de l’ensemble du ministère.


Madame la Ministre,

Votre élégance naturelle est à la hauteur de la fonction que vous occupez et nul ne saurait le faire avec autant de panache.

Cependant, si je puis me permettre un conseil, votre garde-robe me semble d’un temps passé.

La guerre est derrière nous, l’austérité n’a plus sa place ! Personne ne veut d’une mine morose ou de la garde-robe de nos grands-mères. Un peu de modernité ne vous ferait pas de mal !

J’ajouterais que votre coiffure ne vous met guère en valeur. L’air sévère que donne le grand âge peut si aisément être atténué par une coupe et un maquillage adaptés. Si vous le souhaitez, je serais ravie de vous prodiguer mes conseils en la matière.

Ne me remerciez pas, je le fais de bonté de coeur, je ne vis que pour aider les autres et rendre ce monde plus beau.

Bien à vous,

Une admiratrice


John-John conclut sa lecture d’une nouvelle volée de paillettes (dont on trouvera sans doute encore des résidus dans le bureau plusieurs mois après) avant de s’éclipser.

Une petite silhouette arrive en claudiquant, jurant comme un charretier à chaque fois que ses pieds s’entremêlent dans sa longue barbe fleuri. La créature ne paye pas de mine, aurait probablement besoin de plusieurs récurvite avant même d’être balancé dans une baignoire pour se décrasser en bonne et due forme. Jean Peuplu, qu’on l’appelle. J’en peux plus, qu’il arrête pas de marmonner en balançant au-dessus de son épaule sa trop longue barbe. C’est d’un soupir las qu’il déroule le parchemin, et entonne d’une voix terriblement nasillarde sa lecture.

« Madame la Ministre, je vous suis depuis vos début. Votre prestance, vos idées. Votre élégance, ainsi que vos tenues… C’est magnifiiiiiiiiiiiiique ma chérie ! »

Le gnome relève son regard à semi-désespéré vers la Ministre, se rappelle les quelques gallions promis qui ne lui seront reversés qu’à la fin de sa diatribe et pousse un soupir à fendre l’âme avant de continuer sa diatribe.

« Un peu de couleurs estival ne ferait que rajouter une note spectaculaire qui vous siérait à merveille. Si la robe noir est un basique in-dé-mo-da-ble à avoir dans sa garde-robe, un peu de changement pourrait ravir les mirettes de vos admirateurs. Un dernier petit conseil : avec vos yeux foncés, n’hésitez pas à préférer les bleus foncés pour votre maquillage ! »

Le gnome marque un temps de pause, grimace et froisse le papiers avant de le lancer approximativement dans la corbeille .

« Ouais, non, j’suis clair’ment pas assez payer pour tout ça. J’me casse. »

Et le voilà qui disparaît comme il est apparu, trébuchant à moitié sur sa barbe.  

La démarche digne d'un aristocrate, il marche la tête haute, le dos droit, une canne à sa main, une lettre de l'autre, il se dirige vers les bureaux de madame la ministre. Arrivant à la hauteur de la porte qui la sépare d'elle, il toque gracieusement à la porte et attend qu'elle daigne lui accorder un peu de son temps. Bien sûr, il est évident qu'un soupir de lassitude l'accompagne dans son mouvement. Qu'est-ce que je fous là ? Il atteint finalement le bureau tant désiré pas par moi et il commence, dans un regard indéchiffrable mais surtout indifférent, dans une voix monocorde qui respire la joie de vivre.

Madame la ministre, voici quelques mots d'un admirateur.
S'il vous plait, ne m'en tenez pas rigueur.
S'ils semblent être accompagnés d'une certaine fadeur.
C'est qu'aucun poème ne pourra être à la hauteur.
De votre beauté et de votre splendeur.  

-Saperlipopette, c'est qu'on doit pas voir la même chose ! Se serait-il trompé de destinataire ?
Fit-il en se frottant les yeux et en regardant de haut en bas la ministre. Il la juge sans aucune gêne, montrant ce qui ressemble le plus à de l'aversion.

-Ah ! Mes excuses, je reprends ce tissu de mensonge.

Je vous dédie ces mots qui ne sauront décrire.
A quel point la beauté vous jalouse à en mourir.
Le style était perdu, puis il vous a rencontré.
Et depuis, il a retrouvé sa véritable raison d'exister.

-Cela m'étonne qu'il soit humainement possible de mentir autant ! Ma foi, c'est dans votre nature...

Chaque tenue sur vous, vous l'embellissez.

-Et c'est qu'il en rajoute une couche, le saligaud !  

Les bijoux que vous portez ne sont que parjures.
Pour resplendir, vous n'avez pas besoin de telles injures.
Si le monde doit avoir un centre de gravité.
Il est évident que vous êtes toute désignée.
Votre beauté est cruelle au point que vous en êtes divine. 
Vous êtes tout et son contraire, l'oxymore. 
Si vous êtes le Monde dont je rêve encore.
Vous en êtes également ses racines. 
 
-Je suis désolé mais je ne peux continuer de déblatérer pareilles sottises ! Il va de soi que cet individu va devoir être confronté à la justice pour arnaque ! Il vient sciemment de mentir sur la marchandise ! Et il est hors de question que je continue de vous transmettre ces idées grotesques dans votre esprit. Je dois avouer que j'ai également guère l'envie ou la motivation pour continuer. Vous savez quoi ? Je m'en vais. Cela m'a assez fait saigné des oreilles. Je ne suis pas venu ici pour souffrir ! Lisez la suite vous-même si cela vous chante mais ne comptez plus sur moi, je démissionne !
Et sur ce, il sort en trombe du bureau de la ministre sans lui avoir déposer la lettre en question... Il fut étonné, scandalisé même, d'apprendre qu'il n'avait pas été payé. Cette fois, il démissionne ! Y'en a marre de travailler convenablement pour un salaire de misère, voire pas de salaire du tout ! Qu'est-ce qu'on lui reproche au juste ? Il ne comprend pas.

Le prochain message qu'il doit envoyé est à une certaine Mona Parkinson... Okay, mais c'est la dernière, cette fois !