La peinture. C'était une forme artistique dont les diverses techniques consistaient à appliquer manuellement, sur une surface, des couleurs sous forme de pigments mélangés à un liant ou un diluant. Les artistes peintres s'expriment sur un support visuel, principalement la toile. Et de ces mille et une toiles, variations de couleurs
tantôt incongrues, tantôt ternes, tantôt sentimentales un message. Les moldus en ont des messages à faire,
des hurlements colorés au rouge chatoyant, au bleu ténébreux et au vert pernicieux. Des silences qui percutent la rétine de ceux qui les regardent. Ceux qui osent. Peuvent se le permettre. Et tous ces moldus commencent à vouloir pointer du doigt,
dénoncer. Eux qui s’entêtaient à se murer dans le silence, se complaire à peindre le beau comme
Les Coquelicots de Claude Monet, sans jamais oser adresser parole au laid. La tendance change. Le monde moldu malfamé commence à aboyer. Les chiens galeux sortent des rues et sortent leur plus hideux cri à la lune pour la percuter, la faire réagir. Trouver du beau dans le laid, ils en ont fait leur mission. Les sorciers n'auraient pu faire tant de scandales, ce n'est pas à leur niveau. Ils sont supérieurs, ils n'ont guère besoin de quémander quelques miettes de liberté des bas-fonds. Les sorciers sont la liberté elle-même, ils peuvent s'élever dans les cieux, toucher du doigt les étoiles qui composent la galaxie, lancer des sorts à faire pleuvoir des traits rougeâtres que la pluie elle-même se sentirait inutile, ils sont sorciers. Et Aurelius, d'entre tous, est un sang-pur. L'élite de tous. Un sorcier de sang depuis des générations, c'est inscrit dans ses gênes. Il est né pour dominer la race si faible des moldus. Ces moldus qui depuis des dizaines d'années commencent à s'exprimer, à vouloir prouver qu'ils existent, qu'ils sont doués. Et ce talent, cette complaisance dans leur pinceau, ils la doivent à ceux qui leur ont tout pris, mais tout inspiré.
Ils désirent dénoncer, comme pour Otto Dix -dans son triptyque "
La guerre" dans lequel il dépeint la guerre
glorifiée, scandée, valorisée sous sa forme la plus objective
laide, violente, meurtrière, à travers le regard d'un homme traumatisé par la Première Guerre Mondiale, lui-même- ou comme pour Bruno Amadio -dans son oeuvre
Le garçon qui pleure dans lequel il dénonce les conséquences de la guerre, laissant derrière elle les premières victimes, celles du premier front, les orphelins. C'est leur point commun, dénoncer, montrer, arrêter de s'excuser quant au fait que le monde se fait disgracieux.
Assumer. Oui, ils assument, présomptueux traits qui les défigurent mais qui les rendent tellement plus distrayants. Les sorciers n'ont rien à dire qu'Aurelius ne sait déjà. C'en est ennuyant.
C'est pourquoi il se rend à un musée d'art
moldu à Londres. Éduqué dans la voie artistique, Aurelius n'en a jamais vraiment prêté attention. L'ennui. Profond, intensifié par les années s'écoulant. S'il vient, c'est qu'à choisir entre l'ennui
du vu et revu ou l'ennui de l'
inconnu, il préfère la deuxième. Il désire simplement se tenir à jour quant aux nouvelles œuvres qui sont apparues. Il s'en est déjà chargé pour le côté sorcier.
Rien d'intéressant. Il va pouvoir
profiter du côté moldu maintenant. Tant qu'il est à Londres, qu'il a fait le déplacement, autant se remettre à jour de tous les angles.
Marchant, jetant un œil superficiel à chaque cadre, il s'arrête subitement devant une oeuvre. Il en reconnaît l'auteur sans même devoir chercher sa signature, ce coup de pinceau ne peut que provenir d'un portraitiste anglais, l'un des plus reconnus de la seconde moitié du XVIIIe siècle, Joshua Reynolds. Il était évident que le portrait a été réalisé d'une main experte, de manière consciencieuse et appliquée, la finesse du pinceau ne laissait place à aucun poil de celui-ci, exempté de toute preuve de l'outil qui l'a fait naître de son extrémité. Ayant pour seul témoin, la palette de couleurs utilisées dont il est impossible de décrire leur composante.
Qui était-ce, déjà ? Cette femme sur cette toile, cette toile qui a su amener autre chose qu'un regard désintéressé auprès d'Aurelius. Il était certain de l'avoir su. Cela lui revient, c'est un
portrait d'Isabella Thorold ! Elle ne peut être seule, n'est-ce pas ? Le voilà, juste à côté ! Le
portrait de son mari, Thomas Middleton-Trollope.
Se mettant au milieu, entre les deux tableaux -aux cadres similaires au point de sembler identiques mais à qui les observe bien, verra la différence-
à cela de s'effleurer, les protagonistes mariés semblent se regarder -l'homme a gauche, la femme à droite- mais la vérité semble tout autre. Ils ne se connaissent nullement, que voir si ce n'est un inconnu ? Leur regard ne se croise pas. Aurelius le sait, le voit, le constate. Il se tend quand il entend des pas se rapprocher et s'arrêter juste à côté de lui. Curieux, il remarque qu'il s'agit là de monsieur Yaxley, ami de mère et père de Natalya. Le jeune Serpent le salue d'un hochement de tête courtois. Retournant à la peinture, il commence à parler.
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1759. Portraits d'Isabella Thorold et de Thomas Middleton-Trollope. Lorsqu'ils ont été peint, ils avaient respectivement 24 ans et 30 ans. Les mariés, dans ces peintures, ne portent pas le même nom parce que les parents de l'époux avaient commandé ces toiles juste avant la cérémonie du mariage. Isabella Middleton-Trollope est morte à ses 32 ans, elle a laissé un héritier, Thomas Trollope qui deviendra 7eme baronnet. Thomas Middleton-Trollope, trois ans plus tard, après la mort de sa femme, s'est remarié. Cinq ans plus tard, il est mort à son tour. Le premier mariage n'aura duré que huit ans. Le second, cinq ans. Quand l'amour n'est pas, il n'est pas voué à naître ni à être regretté. Bien qu'Aurelius n'en ressenti rien. Il a parlé de ce qu'il savait. Guère de ce qu'il ressentait face à cette oeuvre. Il se contente des faits, il est ainsi le serpent, il ne siffle pas ce qu'il ressent, il siffle simplement des constatations dans une voix monocorde, le pédant dans son sang, sang-pur. Il aurait pu être en examen oral, cela n'aurait rien changé.
Cela pourrait être inquiétant qu'un sang-pur connaisse à ce point des détails pareils sur l'envers de la couleur vernie de ces portraits, mais pas pour Aurelius. Lui qui se contente de ce qui est prouvable. Pourquoi parler des couleurs qui expriment des émotions,
des sentiments ? Pourquoi parler de condamnation en synonyme de mariage et de ces œuvres ? Quelle idée saugrenue. Ce n'est pas vérifiable. Les suppositions, c'est surfait.