Elle se méfie du soleil, et surtout de celui qui ose éclairer les recoins sombres de Bezoar Street. Elle aimerait pouvoir se réjouir des lueurs dansantes qui s’acharnent à caresser la vitrine perpétuellement crasseuse du
Filch’s Curiosities Shop, mais Ethel n’est pas suffisamment stupide pour croire que le soleil résoudra tous ses problèmes. Et lorsqu’elle voit les trois silhouettes passer le seuil de la boutique, elle flaire les ennuis avec l’instinct infaillible d’un chien de chasse. S’il ne faisait pas grand beau, jamais ils n’auraient osé s’aventurer jusque dans le recoin le plus désespéré du quartier, elle le lit dans leur démarche trop assurée - la démarche des héros, de ceux qui se prétendent tels en tout cas. De ceux qui se croient justiciers.
Quelle justice viennent-ils servir, cette fois ? songe amèrement le petit scorpion.
Enfant, elle croyait qu’un jour, la police magique réaliserait que son géniteur était un criminel. Elle y a cru longtemps, jusqu’à l’adolescence et même un peu après. Un jour, des hommes en uniforme viendraient arrêter Richard Filch et l’emmèneraient loin, très loin. Un jour, elle serait libérée de cette cage aux barreaux même pas dorés. Mais personne n’est venu, et l’enfant a grandi. Elle a fini par comprendre que personne ne rendrait la justice qu’elle attendait - et que personne, jamais, ne la délivrerait.
Alors, quand elle aperçoit les badges de la Brigade de Police Magique, soigneusement accrochés aux ceinturons, Ethel Filch ne s’empresse pas de pointer un doigt accusateur vers l’arrière-boutique. Au contraire, les leçons inculquées par le premier délinquant qu’elle ait jamais fréquenté, à savoir son propre père, reviennent en force et guident chacun de ses gestes précautionneux. La frêle herboriste prétend qu’elle n’a pas remarqué les insignes et se plonge dans sa comptabilité d’un air très absorbé - s’ils s’attendaient à un accueil plus aimable, les agents n’avaient qu’à choisir un autre quartier que celui-ci, après tout. Tout le monde sait que Bezoar Street n’est pas réputé pour son hospitalité.
« Hum. Miss Filch ? » s’enquiert l’un des trois mousquetaires - le plus jeune, peut-être rendu impatient par le mur de silence qu’elle leur oppose.
« C’est moi. » Une évidence - tout le monde sait qu’elle travaille ici, que la plus jeune de la portée Filch n’a pas trouvé d’autre emploi que celui, relativement ingrat, proposé par un père peu aimant mais extrêmement intéressé par ses talents bourgeonnants.
« Nous aimerions… Un mot, s’il-vous-plaît. » Le benjamin du trio est un peu maladroit dans ses formulations, ce qui donne un instant envie au petit scorpion de lui répondre par l’ironie.
S’il-vous-plaît. Voilà, vous avez ce que vous êtes venus chercher, maintenant débarrassez le plancher. Comme si elle pensait un jour trouver le courage de lancer une telle réplique à la face de l’autorité - aussi boutonneuse qu’elle soit.
Par Merlin, ils engagent dès la sortie de Poudlard ? Le Ministère doit vraiment être fauché…« Et moi, j’aimerais terminer ma comptabilité. Alors faisons au plus vite, voulez-vous ? » Voilà tout ce qu’elle répond, veillant à transparaître gestionnaire affairée, et non gamine qui ne peut s’empêcher d’espérer.
Il est dans l’arrière-boutique, arrêtez-le et je vous dirai tout, vous ne saurez plus me faire taire tant j’ai de choses à vous raconter ! Amère désillusion qui s’amorce, lorsqu’une autre officielle prend la parole, plus assurée et franche.
« Miss Filch. Nous avons obtenu un rapport, un rapport crédible, au sujet de vos… activités. »Le masque tremble mais elle le maintient, concentre toute sa volonté dans l’acte simple et pourtant si complexe de
ne pas laisser ses traits la trahir. Les jointures blanchissent autour de la plume, elle doit se forcer à inspirer pour se détendre et ne pas casser son instrument de travail. Un sourcil se dresse, marqueur d’une curiosité qu’elle ressent réellement - mauvaise herbe dans un jardin semé de panique, mais elle ne laisse voir que cela, ce sourcil qui se hausse et incite la brigadière à poursuivre.
« Il nous revient que certains… trafics ont lieu ici. Dans cette rue, dans ce quartier. Votre nom est ressorti plusieurs fois au cours de notre enquête, et… Nous aurions des questions à vous poser, si vous voulez bien nous accompagner ? »« Oh, oh non. Je ne peux pas » s’empresse-t-elle de clarifier, ses yeux sombres écarquillés et cette fois le doigt est bel et bien pointé vers la porte qui se dresse derrière elle.
« Il ne veut pas que je quitte la boutique, jamais » et pour la première fois de sa vie, elle bénit la véracité de cette phrase, la volonté de contrôle absolu d’un père à qui ses deux aînés ont échappé et qui se venge sur la cadette.
« Je ne sais pas comment je pourrais vous aider, mais… Je peux répondre à vos questions, ici et maintenant. Êtes-vous certains que c’est mon nom qui vous est revenu ? » demande-t-elle encore, forçant une inquiétude faussement innocente dans sa voix - l’inquiétude est réelle, l’innocence… nettement moins.
Et elle n’aime pas la manière dont le dernier membre du trio se déplace dans la boutique. Déjà, parce qu’avec sa carrure d’Armoire à Disparaître montée sur pattes, il risque de casser l’un des fragiles assemblages de bric et de broc qui parsèment l’endroit. Et puis, parce que de telles statures l’impressionnent vite, mauvais souvenirs gardés d’une scolarité parfois bousculée.
« Le nom de Filch, oui. Et la description d’une silhouette de petite taille, ce qui me semble correspondre » reprend l’officière, visiblement persuadée de la véracité des notes qu’elle consulte dans un petit calepin écorné.
« Les faits sont… plutôt graves, Miss. Mais peut-être pouvons-nous trouver… un arrangement ? »Richard Filch n’a jamais fait mystère de ce qui se produisait dans sa boutique. Ou plutôt, il en a soigneusement filtré la réputation, ne laissant crever en plein jour que ce qui sert ses intérêts.
Oui, on peut venir chez Filch pour obtenir des informations sur les mouvements de la pègre magique - si l’on est prêt à y mettre le prix.
Oui, il est mêlé à des affaires louches - mais lesquelles, personne ne sait, et surtout, personne ne saurait le prouver. Mais s’il est une leçon que le père Filch a inculquée à sa progéniture, c’est qu’il est le seul à décider des informations qu’il transmet.
« C’est à mon père que vous devriez parler, Madame » répond ainsi la demoiselle, portrait de la dévotion filiale qui doit se retenir d’enfoncer ses ongles dans le bois pour masquer son envie de fuir.
« Ou alors… » L’idée germe sous le front baissé, une nouvelle mauvaise herbe qu’il faudrait arracher car elle est toxique, mais Ethel est trop bonne jardinière, et meilleure herboriste encore. Elle saura transformer la vénéneuse en un utile ingrédient, et il est une revanche qui attend depuis trop longtemps qu’une telle occasion se présente…
« Avez-vous déjà parlé à ma soeur ? »« Votre… soeur ? »« Oui, Madame. » La voix est basse, confession offerte à l’incrédulité de l’une, la curiosité mal dissimulée de l’autre - et l’indifférence de façade du troisième, qui prétend errer du côté des artefacts de piètre qualité.
« Eleanor Filch, mais elle est mariée maintenant. Alors parfois, les gens oublient son nom. » Mais moi, je n’oublie rien. Et si vous posiez les bonnes questions, je pourrais vous révéler tant de choses… « Elle effectue parfois quelques courses pour Papa. » Morgane et tous les saints, qu’est-ce que ce mot lui écorche la langue, il n’est pas Papa, ne l’a jamais été ! Il est “le vieux”, “le père”. Il est Richard Filch, et il la tient prisonnière. « Peut-être que c’est d’elle que parle votre rapport ? »« Par les mamelles de la grande gargouille, Burbage » siffle alors la brigadière, à l’intention du jeune vérolé qui l’accompagne et qui a sorti son propre calepin, des yeux de plus en plus paniqués parcourant plusieurs feuillets de notes accumulées.
Que ne donnerait-elle pas pour les lui arracher, ces feuillets… « Il y a une autre Filch ?! »« Pardon, Inspectrice, je n’avais que Miss Filch dans mes notes, personne n’a fait mention d’un prénom, je suis… »« Épargnez-moi vos excuses. Présentez-les plutôt à Miss Ethel Filch, qui comme nous l’avons constaté en ce jour » lance-t-elle, sur un ton davantage officiel
« n’est pas le genre de demoiselle qui erre dans les rues malfamées. »« Vous d’mande vot’pardon, Miss » marmonne le jeune officier, auquel Ethel parvient de justesse à adresser un sourire qu’elle espère doux et contrit. Elle n’est qu’
Ethel Filch, jeune vendeuse dans le magasin tenu par son paternel, un magasin dont elle ne saurait sortir pour s’acquitter d’un quelconque
trafic…
À peine l’armoire sur pattes ayant refermé la porte derrière le trio de policiers, les mains de la sorcière se mettent à trembler. Elle doit prévenir Pimentine, elle le sait : une telle incursion en territoire risqué ne saurait être passée sous silence. Et il faudra qu’elle fasse davantage attention, désormais… Eleanor ne sera pas toujours là pour la protéger -
à l’insu de son propre gré.
défi journalier : 1555 mots