L’échine engoncée dans l’assise de son chester au cuir notes chocolat, la caboche s’enlisait dans ses rêveries éveillées. Ballet aérien déployé pour son amusement, les lagunes vaquaient d’un volatile à l’autre, admirant dans la quiétude de leurs chants les trajectoires et pirouettes graciles de ses compagnons. Éternelle contemplation pour l’enthousiaste qu’il était, Chronos ne semblait plus posséder de prise quand il s’offrait en spectateur de la vie fourmillant derrière les barreaux magiques de sa vaste volière. Structure imposante occupant l’intégralité de la façade Nord de son bureau personnel, elle se composait des espèces les plus fascinantes pour le Parkinson. Choix peu aisé. D’une telle complexité qu’il s’était offert l’ajout d’une seconde, plus modeste, dans le salon. Grains de sable s’écoulant sans en saisir la vélocité quand les lagunes s’abandonnaient à leur observation, ou toute autre activité à même de capter son attention, les griffes raclaient contre les montures de ses lunettes. Le geste répétitif, plongeant l’âme dans une quiétude transcendantale, habitude prise depuis bien des laps même quand aucun ouvrage ne venait trouver place entre les phalanges, elles avaient besoin de trouver matière contre laquelle s’épancher.
Dans le lointain, un vaste écho de mélodie inédite résonnait. Chant scandé dont il ne reconnaissait que peu les notes, pas assez soutenu pour que l’attention daigne se détourner du spectacle offert par ses précieux familiers. Il fallut attendre de longues minutes pour que les lagunes se détournent enfin de la volière. La douce mélopée à présent devenue cacophonie insupportable émanait de son PlumoRappel. Petite créature perchée à même une tige en bois de hêtre, le bec ouvert, il s’époumonait dans des vibrations frénétiques allant jusqu’à faire trembler son plumage enchanté. Sous sa petite stature, parmi le panier d’oeufs intacts, une coquille s’était rompue dont dépassait un bout de parchemin. Simple inflexion du poignet et l’ensemble rejoignait la paume de sa main, intimant silence et calme à l’objet enchanté.
« Révélation au public de l’oisillon du couple d’oiseaux-tonnerres » inscrit en lettres argent, l’enthousiasme rugit en traînée de poudre sous la carne. Prise d’une impulsion, l’enveloppe s’extirpa de son cocon, agitation soudaine le piquant à vif à la perspective d’être témoin de cette merveille de la nature, le Parkinson profita de l’usuelle absence dominicale de son épouse pour quitter les murs du manoir sans l’ombre d’un regret.
L’atmosphère estivale régnait dans le petit village. Âmes errantes en quête d’une chaleur délicate léchant les carcasses, les promeneurs se faisaient nombreux dans les ruelles. Chérubins sillonnant parmi les passants, ils délestaient derrière eux l’écho d’une joie candide, spectacle venu animer le masque d’une douceur amère au rappel incessant du manque venu corroder son mariage. Ils avaient leurs oiseaux, leur ménagerie, les multiples créatures sauvées, héritées de sa passion dévorante, de son incapacité à laisser être dans le besoin sur le bas côté. Vague consolation, simple pansement sur une plaie béante s’aggravant à mesure que les laps s’écoulaient sans que le ventre de la belle ne s’arrondisse. Une pensée. Une graine d’idée venue aussitôt semer sa géhenne dans l’abîme fluctuant au gré des événements. Pourquoi prenait-il la direction du Zoo ? Les griffes extirpèrent pour la énième fois le parchemin de la poche de son pantalon en lin pour que l’apaisement ne le gagne.
Exact.Après quelques gallions délestés de sa bourse à l’entrée, les allées s’affichaient labyrinthe connu pour en avoir battu et rabattu le pavé à de nombreuses reprises. Quand bien même, en dépit des années et nouveaux aménagements, le Parkinson en connaissait le moindre recoin sur le bout des doigts, point de lassitude ne daignait ternir son plaisir. Un même enthousiasme aux enclos croisés, aux profils de créatures admirés avec cette fascination enfantine, il pouvait s’y égarer des heures durant. Ce fut au détour de l’une des intersections que les lagunes s’accrochèrent à une silhouette ô combien familière. Figure du passé, d’une existence qui aurait pu être, la jeune femme pourtant depuis croisée à de multiples reprises revêtait cette même touche de nostalgie pour une époque à présent révolue. Insouciance de jeunesse. La sensation que le monde pouvait s’offrir à lui, les rêves demeuraient vivaces dans la caboche. Vague écho de trouble en nouvelle secousse dans l’abîme, un soupir s’arracha des labres pour tenter d’absorber le choc qu’il pressentait imminent.
Les abraxas. Comment ne pas s’y attendre venant de la belle Solène Bullstrode. N’était-ce point Abbott à présent ? Oui. Sûrement même. Le souvenir de Thomas lui contant quelques dires sur son épouse aux origines françaises ancrait la certitude. A la distance grignotée, silhouette accostée, l’ombre d’un sourire habitait les traits du masque.
« Bonjour Solène… » Calme usuel porté par le minois, l’amusement scintillait toutefois au fond des orbes céruléens.
« Je ne pensais pas te trouver ici. » Vague désignation de l’environnement dans lequel ils se retrouvaient, l’attention se porta enfin vers les bêtes majestueuses évoluant de l’autre côté de la barrière magique.
« Bien que, après mûre réflexion, cela ne m’étonne guère venant de ta part… » Avait-il seulement besoin de les nommer, de revenir en quête de son océan pour que la compréhension ne scintille d’évidence ?
« Simple promenade dominicale ou venais-tu également admirer le petit dernier du Zoo ? » Était-ce l’amorce d’une chaleur estivale couplée à l’exceptionnelle météo qui avait attiré sorcières et sorciers dans les allées du Zoo ou l’annonce du petit oiseau-tonnerre ? Impossible à déterminer.
952 mots